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complète d’une phrase mutilée par les éditeurs de Port-Royal réveille en lui tout un monde d’idées qu’il résume en quelques traits, ou qu’il développe avec une merveilleuse abondance. En nous parlant de la langue du XVIIe siècle, en nous rappelant l’alliance heureuse de la grandeur et de la sobriété commune à tous les grands écrivains de cette époque, il leur emprunte leur méthode et la met en œuvre. Il concilie le nombre et la précision, chose plus difficile qu’on ne le pense généralement. Trop souvent la précision est achetée au prix du nombre, ou le nombre au prix de la précision. Pour donner de l’ampleur à la période sans effacer les contours de la pensée, il faut avoir étudié profondément l’art d’écrire. M. Cousin le sait depuis longtemps, et son étude sur Pascal nous prouve une fois de plus qu’il connaît tous les secrets de cet art difficile.

Je regrette de ne pouvoir partager l’admiration de M. Cousin pour Jacqueline, Pascal. Il y a certainement de l’élévation dans les quelques pensées qu’il a réunies avec un soin pieux ; cependant, à mes yeux elles ne justifient pas les éloges redoublés du biographe. Les vers improvisés ou composés à loisir par Jacqueline ne méritaient vraiment pas les honneurs de la réimpression, il eût mieux valu les laisser enfouis dans les recueils du temps. Ses lettres à son frère sont dignes d’attention, parce qu’elles nous peignent au vif l’état de cette âme malade, car, il faut bien l’avouer, l’âme de Jacqueline ne paraît pas moins troublée que celle de Blaise. Ses élans de piété n’expriment pas le bonheur que la religion promet aux fidèles, mais seulement le mépris absolu de toutes les joies du monde. Sa ferveur est une ferveur sans tendresse. Jacqueline se retire du siècle pour se réfugier en Dieu, et dans l’asile même qu’elle a choisi elle ne paraît pas avoir trouvé la paix qu’elle avait espérée. Nulle trace de regret, mais aussi nul signe de joie. Toutes ses pensées sont empreintes de résignation et d’austérité ; j’y cherche en vain un témoignage de reconnaissance pour le Créateur ; il y a loin de cette foi sombre à la foi enseignée par l’Évangile. Je ne parle pas du style de ses lettres, car la langue de Jacqueline ne mérite pas le nom de style, c’est une suite ou plutôt un enchevêtrement de périodes diffuses, embarrassés ; M. Cousin remarque avec raison que Jacqueline ne possède pas les premiers élémens du style. Malheureusement la prolixité de ce langage n’est pas exempte de prétention. Non-seulement Jacqueline ignore complètement l’art d’écrire, mais elle manque de simplicité, ce qui rend le lecteur moins indulgent. Qu’elle écrive à son frère ou à sa sœur, elle prêche et paraît se complaire dans son sermon. Comment ne serait-on pas sévère pour l’ignorance sans naïveté ? Cette correspondance n’offre donc qu’un seul genre d’intérêt : la peinture fidèle d’une âme encore plus troublée qu’exaltée par les enseignemens