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répudier tous les attraits du style, s’animent dans la bouche de M. Cousin et prennent une forme toute poétique. Au lieu de créer des termes nouveaux pour des pensées nouvelles comme Kant et Hegel, il s’applique à dire ce qu’il sait dans la langue commune, en ayant soin toutefois de l’embellir par des comparaisons ingénieuses, par des images éclatantes, sans que jamais le rhéteur prenne la place du philosophe.

Comment M. Cousin est-il arrivé à dramatiser l’histoire de la pensée humaine ? Comment a-t-il réussi à introduire dans ce sujet si aride en apparence un intérêt égal à celui qu’on trouve dans le récit des souffrances personnelles ? Par un artifice qui paraît très simple, et dont personne pourtant ne s’était encore avisé il a pris l’humanité à son berceau, l’a suivie dans son adolescence, dans sa virilité, dans son âge mûr, et nous a dit ses illusions et ses espérances avec toute la sincérité d’un historien qui prend sa tâche au sérieux. Dans ce récit tour à tour imposant, et douloureux, nous voyons l’homme aux prises avec la nature qu’il veut connaître et sonder, commençant par prêter une âme à toute chose, divinisant la matière, plus tard cherchant et croyant avoir trouvé la solution de tous les problèmes dans le témoignage des sens, puis rougissant de cette double exagération et se glorifiant dans le doute, plus tard enfin se réfugiant dans le mysticisme, c’est-à-dire abandonnant la science pure pour la rêverie et vision. Certes, pour animer un tel récit, il fallait une singulière puissance de parole ; tous ceux qui ont entendu les leçons de 1828, savent comment M. Cousin a rempli la tâche qu’il s’était proposée. Il a marqué d’une main sûre les limites mêmes de la pensée humaine. Appelant l’histoire en témoignage, il a prouvé que l’homme est condamné à passer éternellement par les quatre évolutions que j’ai indiquées tout à l’heure. Le style des leçons de 1828 est tout à la fois majestueux et simple, il y règne une élévation constante sans qu’on aperçoive jamais aucune trace d’emphase. L’abondance et la variété des images n’y produisent jamais la confusion, mais donnent à l’expression des idées plus d’énergie et de vivacité. Chose rare et merveilleuse, ces leçons, recueillies par la sténographie, ne perdent rien à la lecture de leur charme et de leur puissance. L’œil le plus attentif n’y découvre pas une pensée oiseuse, une épithète parasite. La parole telle qu’elle s’est échappée des lèvres, en se fixant sur le papier a conservé tout son attrait.

L’Introduction à l’histoire de la philosophie a prouvé aux plus incrédules que l’éclat du style n’est pas incompatible avec la précision scientifique. Les esprits éclairés savaient depuis longtemps qu’il y a même parmi les géomètres de très habiles écrivains. Quoique les propriétés de l’étendue ne semblent pas se prêter aux artifices du style, il s’est pourtant rencontré des hommes qui, en parlant du