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pas été pour lui aussi féconde ; en feuilletant l’histoire de sa pensée, il doit maintenant le comprendre pleinement.

Il y a parmi les faits que je viens de raconter un point sur lequel je crois utile d’insister. M. Cousin, compté aujourd’hui en France et en Europe parmi les plus célèbres et les plus habiles historiens de la philosophie, a débuté dans l’enseignement par la littérature. Contrarié dans sa vocation, il doit à la lutte même qu’il a soutenue pendant plusieurs années contre son premier protecteur, M. Guéroult, la partie la plus brillante, la plus populaire de son talent, le maniement de la langue, la faculté de produire sa pensée sous une forme à la fois abondante et fidèle. S’il eût débuté par l’enseignement de la philosophie, comme il le voulait, il est probable qu’il eût trouvé plus tard et plus difficilement le style à la fois limpide et coloré qui donne à ses idées tant de charme et d’autorité. Les études littéraires, en obligeant l’intelligence à sonder tour à tour les problèmes les plus divers, deviennent pour ceux qui s’y dévouent une excellente gymnastique. Fortifiées par cette épreuve, nos facultés peuvent s’appliquer avec succès à tous les ordres de connaissances. L’esprit, façonné par les études littéraires au maniement du langage, trouve dans le langage même un auxiliaire pour le développement et l’analyse de la pensée, car il ne faut pas oublier que l’art d’écrire et de parler ne sert pas seulement à l’expression des idées que nous avons conçues, mais bien aussi et non moins souvent à la détermination des idées encore confuses, à peine ébauchées au fond de notre conscience, et qui n’ont pas encore acquis pour nous-mêmes une complète évidence. Débutant par l’enseignement philosophique, M. Cousin n’eût sans doute pas apporté dans l’exposition de la science l’élégance et l’éclat qui ont si rapidement popularisé son nom. Il faut donc savoir gré à M. Guéroult de sa longue obstination. S’il eût cédé aux instances du jeune lauréat, l’histoire de la philosophie, réduite à l’intérêt de la science pure, privée du charme de la parole, n’occuperait pas aujourd’hui dans l’éducation de la jeunesse une place aussi considérable. Tous les esprits se porteraient avec prédilection vers la science fondée à la fin du siècle dernier par Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet, et dédaigneraient comme inutile l’histoire de la pensée. Grâce au talent littéraire de M. Cousin, cette histoire, qui domine toutes les autres, puisqu’elle les résume, a pris parmi nous le rang qui lui appartient.

Pour complaire à son protecteur, M. Cousin avait formé le projet de choisir dans les œuvres grecques des pères de l’église une série de morceaux remarquables à la fois par l’élévation de la pensée et le charme du langage. Ce que M. Guéroult avait fait pour Pline l’Ancien, M. Cousin voulait le faire pour saint Jean Chrysostome, pour saint