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que la version. Étonné, honteux de son échec, Victor Cousin prit sa revanche la semaine suivante en version latine. Dès ce moment, il devint pour ses maîtres l’objet d’une prédilection marquée. M. Guéroult, à qui nous devons une traduction élégante et fidèle de morceaux choisis dans Pline l’Ancien, distingua le jeune élève et le protégea. En 1810, Victor Cousin obtenait, au concours général des collèges de Paris, le prix d’honneur (discours latin) et le prix de discours français. En vers latins, il n’eut pas même un accessit ; quoique sa composition eût été remarquée. Le sujet ou la matière, comme on dit en termes universitaires, était tiré du poème des Jardins de l’abbé Delille. Il s’agissait d’exprimer le caractère poétique des ruines : or les vers de l’abbé Delille, traduits en prose latine, avaient subi quelques mutations ; l’ombre d’Héloïse et d’Abailard, qui errait dans ces alexandrins, avait disparu du programme proposé aux élèves de rhétorique. Victor Cousin, qui, dès les premières lignes, avait reconnu le poème des Jardins, n’hésita pas à ranimer l’ombre d’Héloïse et d’Abailard. La nièce du chanoine Fulbert et le disciple de Guillaume de Champeaux n’étaient pas du goût des juges préposés à l’examen des compositions. Cependant, sauf l’intervention de ces deux ombres profanes, la pièce méritait une couronne : on ne pouvait lui assigner le second rang ; lui accorder un accessit, il ne fallait pas y penser. M. Guéneau de Mussy, l’un des juges, décida, pour simplifier la question qu’il ne fallait pas nommer Victor Cousin.

Le gouvernement impérial pensait alors à ouvrir l’École normale. En recevant le prix d’honneur, Victor Cousin fut proclamé premier élève, admis de droit et sans concours. La direction de l’École fut donnée à M. Guéroult, enseignement de la littérature française à M. Villemain, l’enseignement de la langue grecque à l’abbé Mablini, la chaire de langue latine à M. Burnouf, et celle de philosophie à M. La Romiguière. Victor Cousin ne tarda pas à témoigner une vive affection pour les études philosophiques. La parole élégante et châtiée de M. La Romiguière, qui n’avait gardé des travaux théologiques de sa jeunesse que la souplesse et la pénétration, oubliant heureusement les discussions purement nominales et les subtilités scolastiques, la parole de M. La Romiguière séduisit Victor Cousin, et fut pour lui le premier signe de sa vraie vocation.

L’année suivante, Royer-Collard fut appelé à professer l’histoire de la philosophie moderne à la Sorbonne ; or les élèves de l’École normale étaient obligés de suivre les cours de la faculté. La voix austère de ce nouveau maître domina bientôt la voix de M. La Romiguière, qui, après quelques mois d’une lutte impuissante, se réfugia dans le silence. Dès ce moment, la vocation de Victor Cousin fut arrêtée sans retour : à l’âge de dix-neuf ans, il résolut de se vouer