Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donne à elle seule la mesure exacte de l’état moral de la convention pendant cette période de soi-disant modération gouvernementale : il est si clair qu’un pouvoir qui maintenait et pratiquait la confiscation n’était pas un gouvernement.

Ainsi, après comme avant thermidor, le droit révolutionnaire, le droit du plus fort, préside seul aux destinées de la France. Elle est un pays conquis, gouverné par des conquérans, un pays de proscripteurs et de proscrits. Le sang coule un peu moins, voilà tout; l’ordre, la raison, la justice, ne règnent pas davantage. Il n’est pas donné aux hommes de passer en un jour de la mort à la santé; plus la maladie fut terrible, plus longue est la convalescence. Ce serait en vérité trop commode si, après s’être joué de tout ce qu’il y a de sacré dans ce monde, après avoir tout renversé, tout saccagé, un peuple pouvait à volonté, quand il est las du chaos révolutionnaire, s’en dégager sain et sauf, et rentrer en paisible possession de sa raison et de son bon sens. Non, tout cela ne se rachète qu’avec du temps, beaucoup de temps, de longs efforts, de désespérantes épreuves.

Si M. de Barante, dans ses deux derniers volumes, excelle à mettre en lumière cette grande leçon, il a dans tout son livre un autre mérite au moins égal à nos yeux : il sait être à la fois sans faiblesse pour l’esprit révolutionnaire et sans rancune contre la révolution. Tout en détestant les moyens, il comprend et adopte le but; il met à nu le vice du système et s’incline sans hésiter devant des résultats dont l’incontestable grandeur, le caractère supérieur et définitif, ne peuvent être impunément méconnus. Deux écueils sont également à fuir aujourd’hui, quand on veut apprécier avec vérité et enseigner avec fruit l’histoire de la révolution française : d’abord et avant tout, le système de fatalisme et d’indulgence, théorie qui, contre le gré de ses premiers auteurs, n’est au fond, nous le répétons, qu’une provocation permanente à bouleverser la société, non plus pour déraciner des abus, mais pour assouvir des ambitions. Rien ne séduit comme cette absolution donnée d’avance à tout succès, quel qu’il soit, — comme cette subordination constante de la morale à la nécessité. C’est de ce côté que l’attrait est le plus fort, c’est là que longtemps encore portera le courant. Avec M. de Barante, aucun danger, cela va sans dire, de se heurter à cet écueil; mais en évitant celui-là, on peut en rencontrer un autre. Il est assez de mode aujourd’hui d’aller jusqu’à l’antithèse du système de fatalité. Non-seulement on conteste, comme le veut la vérité, cette soi-disant nécessité des moyens révolutionnaires, mais on rapetisse à plaisir le but de la révolution. La France, avant 89, songeait-elle donc à se plaindre? L’ancien régime, à ses yeux, n’avait-il pas des douceurs infinies? S’il existait des abus, la réforme n’en était-elle pas facile, puisque le pouvoir lui-même la