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L’administration valaque a donc pris dans la caisse centrale de Bucharest un million et demi de piastres qu’elle a versées aux mains du consul-général de Russie. C’est seulement quelques jours plus tard que le général Satler est venu à son tour faire aux autorités valaques un premier versement de trente mille ducats à valoir sur les huit millions de piastres avancés par le trésor public. Ainsi les Valaques sont et continueront d’être payés avec leur argent.

Nous ne dirons rien des avanies, qui ne pèsent pas moins directement sur les paysans et le petit commerce. On ne saurait exiger de l’administration militaire russe les manières de procéder qui sont devenues habituelles aux armées de quelques grands pays de l’Occident. Il serait injuste de demander au soldat russe, dans ses relations avec les paysans chez lesquels il est en quartier, les égards qui sont ordinaires au soldat chez les peuples où l’armée et la nation vivent en rapports sympathiques et familiers. C’est à ces causes, nous n’en doutons point, qu’il faut attribuer des actes tels que ceux qui consistent à parcourir les villes et les campagnes pour enregistrer les provisions faites sous chaque toit et en empêcher la vente, ou à emprisonner tout avocat assez courageux pour appuyer les plaintes que peuvent susciter des vexations trop fréquentes. Ce sont là des faits dont les hommes sont peut-être moins responsables que les mœurs, et nous n’en voulons point tirer de conséquences.

L’armée russe offre d’ailleurs une physionomie trop particulière pour que nous n’ayons point hâte d’en retracer les principaux traits. La guerre qui vient d’éclater comme résultat naturel de l’occupation des principautés donne aujourd’hui une importance de premier ordre aux défauts ou aux qualités de cette armée. Personne n’ignore combien les sentimens varient sur le chiffre des troupes russes envisagées en général. La différence en effet très grande qui existe entre l’effectif officiel et l’effectif réel est la cause des jugemens si opposés dont les forces militaires de la Russie sont d’ordinaire l’objet. Tandis que les uns, prenant à la lettre les chiffres produits par l’administration centrale, exagèrent outre mesure le nombre des hommes que ce pays peut mettre sur pied, les autres, frappés surtout de ce que ces données présentent d’exagéré, tombent assez souvent dans l’excès contraire. Il n’est pas étonnant que les mêmes exagérations en sens divers aient circulé en Europe sur l’effectif de l’armée d’occupation. Ainsi, tandis que les uns l’ont porté à cent vingt-cinq mille hommes, les autres l’ont réduit jusqu’à soixante mille. Les uns et les autres étaient également éloignés du vrai, et il parait démontré que le chiffre précis de l’armée russe entrée dans la Moldo-Valachie est de quatre-vingt-quatre mille hommes.

Il est bien entendu que ce chiffre comprend les convois militaires, la garde des magasins, les malades et même les décès qui ont eu lieu depuis le passage du Pruth. Sur ces derniers points aussi, les opinions se sont fort partagées en Europe. Il est toutefois hors de doute que le nombre des lits occupés dans les hôpitaux est au-dessus de toute proportion avec ce qui arrive généralement dans l’état normal des choses. On n’évalue pas le chiffre des malades à moins de treize mille, et celui des décès est porté à trois mille. Ces données ne paraîtront point trop éloignées de la vérité, si l’on veut bien se rendre compte du régime auquel le séjour des principautés a soumis le