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qu’ils ne savent pas voir, c’est que ce gouvernement est, par son essence même, intolérable et impossible.

Son essence est de n’être pas, de ne pouvoir pas être le gouvernement de tout le monde, de placer nécessairement hors du droit commun, hors de la protection commune, hors de la plus vulgaire justice des classes entières de citoyens, coupables seulement d’avoir été les plus forts et de ne l’être plus. A de telles conditions point de paix, point de repos, point de soumission dans la société. Des classes de proscrits dans l’état ne valent pas mieux, disait Mme de Staël, et ne sont pas moins contraires à l’égalité devant la loi que des classes de privilégiés. Voilà ce que M. de Barante sent et exprime d’autant plus vivement qu’il est plus franchement libéral, qu’il a l’esprit plus éveillé sur les vraies conditions de l’ordre légal et de la saine liberté. A propos de chaque question de législation, d’administration, de finances, il nous fait toucher au doigt le vice et l’infirmité du gouvernement révolutionnaire; il nous montre cette assemblée puissante et formidable, devant laquelle tout tremble et tout fléchit, incapable de faire une loi sans la subordonner à un intérêt de circonstance et de parti, à un de ces intérêts qu’en temps de révolution on appelle le salut public. Ces pauvres législateurs passent leur vie à proclamer de beaux principes abstraits et métaphysiques; mais il leur faut bien vite attacher à chaque principe une exception qui le détruit ou le paralyse. S’agit-il de religion? la liberté des cultes est proclamée; mais c’est une liberté pour le huis-clos seulement. Hors du foyer domestique, toute croyance est un délit passible d’emprisonnement; tout recours à un prêtre est un crime : le prêtre est l’ennemi de la république et du genre humain : il faut savoir s’en passer. La convention assure donc la liberté des cultes, mais sans prêtres ni culte; elle n’a garde de laisser dire la messe, tant de gens seraient encore capables d’y courir! S’agit-il de la famille? ses saintes lois sont proclamées; mais comme la logique républicaine exige que la nature ait aussi ses droits, les enfans naturels sont admis par la loi à part égale dans les successions. S’agit-il de la propriété? elle est déclarée inviolable; mais les ennemis de la république ne peuvent pas être propriétaires. Abolir la confiscation, laisser aux vaincus et à leurs descendans de quoi vivre, ce serait la mort de la république. Aussi que de précautions, que d’embarras chez les hommes éclairés de l’assemblée, chez les magistrats les plus convaincus des effets désastreux de la confiscation, pour demander, non pas qu’elle soit abolie, mais que tout en la confirmant et même en l’aggravant à l’égard des émigrés, à l’égard de leurs complices et de la famille des Bourbons, on ménage aux familles des condamnés mis à mort sous la terreur une chance de recouvrer une partie de leurs biens ! Cette discussion sur les biens des condamnés