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Jusqu’à la conclusion de la paix d’Andrinople, il n’existe dans les conventions des deux pays aucune clause qui fasse allusion à un droit d’occupation armée. Le fait même de l’occupation n’est pour la première fois réglementé qu’à la suite de cette paix, sous la forme d’un acte spécial relatif au paiement des indemnités et frais de guerre, et à titre de gage jusqu’à l’entier acquittement de la dette consentie par la Porte vaincue. Aussitôt les engagemens de cette puissance remplis, conformément à diverses conventions négociées successivement à Saint-Pétersbourg, le droit d’occupation cessait, et les principautés furent évacuées.

La question ne s’est reproduite qu’en 1848, sous le prétexte de la révolution qui venait de troubler l’état intérieur des principautés. Alors, il est vrai, l’on a laissé voir l’intention de transformer le fait en usage, et l’on a obtenu de la Porte la convention ou sened de Balta-Liman. Cette convention, quoique révélant de la part de la Turquie un grand désir d’être agréable au cabinet de Saint-Pétersbourg, est loin cependant d’admettre qu’il puisse intervenir à toute heure et à main armée dans la Moldo-Valachie. Elle limite les seuls cas d’occupation aux bouleversemens révolutionnaires et aux abus d’autorité qui pourraient survenir dans les principautés. Encore est-il nécessaire, pour que l’occupation ait le caractère de la légalité, qu’elle soit déclarée utile d’un commun accord par la cour suzeraine comme par la cour protectrice.

L’occupation récente a donc eu lieu en dehors des stipulations des traités spéciaux conclus par la Russie avec la Porte aussi bien qu’en dehors du droit des gens européen. En effet, le cabinet de Saint-Pétersbourg n’a point caché que cette mesure avait pour objet direct de prendre une garantie contre la résistance opposée par le sultan à la revendication d’un protectorat religieux sur ses sujets de la communion grecque.

Par une curieuse rencontre de circonstances, le premier résultat de cette demande de protectorat religieux devait être de mettre aux plus rudes épreuves deux provinces de l’empire turc, et celles-là précisément qui sont déjà placées sous le régime du patronage qu’il s’agirait aujourd’hui d’étendre à la presque totalité des chrétiens de la Turquie.

A peine entré dans la Moldo-Valachie, le prince Gortchakof, général en chef de l’armée d’occupation, adressait aux habitans une proclamation destinée évidemment à les rassurer, mais qui n’atteignait qu’à demi son but. Ce général repoussait au nom de son souverain tout projet de conquête, toute intention de modifier les institutions du pays; il promettait que la présence de ses troupes n’imposerait à la Moldo-Valachie ni charges ni contributions nouvelles; il ajoutait que les fournitures en vivres seraient liquidées par les caisses militaires russes en temps opportun et à un taux fixé d’avance d’accord avec les gouvernemens des deux principautés. Malheureusement on savait, par une expérience douloureuse de situations analogues, qu’il y a dans la logique des circonstances une force supérieure aux plus belles promesses. Par les maux qu’elles avaient déjà connus en pareille occurrence, les principautés pressentaient ceux qui les attendaient encore. Avant de parler des souffrances qui devaient peser directement sur les particuliers, un mot d’abord de la pénible condition faite aux deux gouvernemens.

On sait quelles sont envers la Porte les obligations des gouverneurs placés