Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/600

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de créer une œuvre d’une originalité littéraire bien saisissante. Ce n’est point qu’il n’y ait plus d’un vers gracieux et facile ; mais enfin lorsqu’on fait une comédie, la première condition apparemment, c’est qu’il y ait un sujet, et quand on la place dans un pays, quand on la rattache à une date, quand on lui donne pour héros un personnage de l’histoire, c’est bien le moins qu’on y retrouve quelque chose de tout cela. Pourquoi la comédie de M. Langlé est-elle espagnole ? Pourquoi l’action, si action il y a, est-elle au XVIIe siècle ? Pourquoi l’auteur fait-il de Murillo un héros dégoûté de la vie, plaisantant avec la corde de pendu, s’enivrant et faisant des dithyrambes comme un fantaisiste contemporain, bernant les tuteurs d’une jeune fille et trouvant dans l’amour de cette jeune fille comme une révélation de son génie ? Quand nous y joindrions les dialogues entre la vigne de Canaan et la vigne d’Espagne, cela ne donnerait point sans doute un caractère plus frappant à la comédie de M. Langlé. C’est une tendance singulière de quelques esprits, d’aimer à mettre en scène des hommes qui ont marqué dans les lettres, dans les arts. Un jour c’est Shakspeare, une autre fois c’est Molière, voici maintenant Murillo. On n’observe pas que rien ne prête au drame chez ces hommes qui ont vécu par le cœur, par l’esprit, par l’imagination, et que la seule manière de les représenter, c’est d’analyser leur vie intellectuelle et morale, de pénétrer le mystère de leur génie. Pourquoi ne point faire comme M. Marc Meunier, auteur du Roi Babolein, comédie de marionnettes, qui n’a point été représentée sur le Théâtre-Français ? M. Marc Monnier n’y met point tant de façons : il place son drame à Fantasie ; ses personnages sont le roi Babylas, Babolein le bûcheron, Babolette. Babylas trouve que c’est un sot métier d’être roi, et qu’il vaudrait mieux être bûcheron. Babolein trouve au contraire qu’il vaut mieux être roi. De là un échange entre les deux ; mais bientôt Babolein se dégoûte de la royauté, Babylas n’est pas moins las d’être bûcheron et fait des émeutes pour renverser son remplaçant, et chacun finit par redevenir comme devant. Tout cela est écrit en vers lestes, quelquefois prosaïques, souvent piquans, et avec plus d’une irrévérence pour les poètes mendians et les penseurs amphigouriques. Au fond, c’est la vieille histoire redite par Horace : « Comment se fait-il que nul n’est content de ce qu’il a, etc. ? » et c’est aussi un peu l’histoire de notre temps, où chacun a horreur de rester où Dieu l’a mis, et est dévoré de l’envie de prendre la place du voisin. Comme on voit, le Roi Babolein n’est point sans nous ramener aux choses modernes et à quelques-uns de ces traits qui deviennent universels, tant ils s’étendent à la vie de tous les pays.

Mais c’est encore ici de la politique. Or la politique actuelle se manifeste à bien d’autres traits touchant à des intérêts contemporains. Au milieu des rudes et laborieuses années que nous avons traversées, un des plus curieux spectacles à suivre, c’est celui des pays où le régime constitutionnel s’est maintenu, non sans avoir eu parfois à traverser de périlleuses épreuves sans doute, mais enfin sans y succomber. Dans le Piémont, le régime constitutionnel s’est maintenu sans trop d’efforts, bien que son institution fût récente encore. Il a eu à passer par des crises bien autrement graves en Espagne, et ce n’est que depuis peu, comme on sait, qu’il a retrouvé en réalité un commencement d’application par la convocation des cortès. Les cortès en