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« De Lyon, du 11 avril 1790.
« Monsieur,

« Vous offrir la preuve du succès de l’Institut de bienfaisance maternelle, c’est vous entretenir de votre ouvrage. C’est chez vous, monsieur, que nous en avons puisé l’idée ; ainsi le plan de l’établissement vous appartient. Vous l’avez aidé de vos généreux dons, et plus de deux cents enfans conservés à la patrie vous doivent déjà leur existence. Nous nous estimons heureux d’y avoir contribué, et notre reconnaissance égalera toujours les sentimens respectueux avec lesquels nous sommes, monsieur, etc.,

« Les administrateurs de l’Institut de bienfaisance maternelle,

« Palerne de Sacy, Chapp et Tabareau. »


Tandis que Beaumarchais occupait ainsi l’attention publique par les moyens les plus divers, ses ennemis, Suard en tête, le harcelaient sans cesse par des articles anonymes insérés au Journal de Paris. Un jour qu’on lui demandait malignement, dans ce journal, ce qu’était devenue la petite Figaro, dont il est question dans le Barbier et dont il n’est plus question dans le Mariage, il répondit par une histoire très plaisamment racontée, dans laquelle la petite Figaro se trouvait être une enfant adoptée autrefois par le barbier espagnol, venue en France, mariée depuis à un pauvre ouvrier du port Saint-Nicolas, nommé Lécluse, lequel venait d’être écrasé par accident, la laissant avec deux enfans sur les bras, et il terminait en invoquant la charité de l’interrogateur pour la veuve Lécluse. Ce dernier fait était vrai, mais cette manière de déjouer les malices anonymes de Suard, en lui imposant une charité, déplut apparemment à celui-ci, et soit qu’il agît de lui-même, soit qu’il fût, comme on l’a dit, excité à poursuivre cette polémique par le comte de Provence, depuis Louis XVIII, qui s’en amusait, et qui même, à ce qu’on assure, prenait sa part dans la rédaction, il continua toujours, sous l’anonyme, à poursuivre Beaumarchais d’articles qui devenaient de plus en plus outrageans. L’auteur du Mariage de Figaro riposta d’abord avec sa gaieté ordinaire, puis enfin, fatigué de ce commerce, il écrivit, le 6 mars 1785, une dernière lettre dans laquelle il déclarait aux rédacteurs du Journal de Paris qu’il ne répondrait plus aux insulteurs anonymes, et pour exprimer avec toute l’énergie possible le cas qu’il en faisait, il employait cette antithèse très colorée, mais un peu étourdiment rédigée : « Quand j’ai dû vaincre, disait-il, lions et tigres pour faire jouer une comédie, pensez-vous, après son succès, me réduire, ainsi qu’une servante hollandaise, à battre l’osier tous les matins sur l’insecte vil de la nuit ? » Suard étant, je crois, très mince de sa personne, pouvait à la rigueur prendre pour lui le dernier terme de cette antithèse, d’un goût hasardé ; malheureusement pour Beaumarchais, qui pensait n’avoir affaire qu’à Suard, le comte de Provence, quoique