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jusqu’à un certain point forcée, de celle-ci enfin à la domesticité librement choisie, librement quittée, où par le fait le domestique n’est plus guère que ce qu’on appelait en style révolutionnaire un officieux. La conséquence de ces transformations diverses, c’est que le valet de comédie, n’ayant plus à représenter cette lutte de l’intelligence opprimée par la servitude comme dans le monde antique, ou gênée dans son essor comme dans les sociétés aristocratiques, ne peut plus jouer sur le théâtre le rôle qu’il y jouait autrefois. Au lieu d’y représenter l’homme habile d’une comédie d’intrigue, il y joue aujourd’hui exactement le même rôle que dans la vie réelle, c’est-à-dire qu’il annonce les gens et apporte les lettres.

Cette donnée sur le valet de comédie ne peut être qu’indiquée ici ; nous laissons à d’autres le soin de la vérifier comme nous l’avons vérifiée nous-même. Ce qui est certain, c’est que Beaumarchais a été assez heureux pour pouvoir rattacher un personnage de théâtre à une des crises les plus importantes de l’histoire humaine. Le souvenir de Figaro est intimement lié à celui de la révolution française, et il n’en faut pas davantage pour éterniser un nom.


II. — BEAUMARCHAIS À SAINT-LAZARE. — QUERELLE AVEC MIRABEAU.

Le Mariage de Figaro avait eu soixante-huit représentations presque consécutives avec un succès jusqu’alors inouï. Le chiffre de recette de la première représentation est de 6,511 livres ; celui de la soixante-huitième est de 5,483 livres. En huit mois, du 27 avril 1784 au 10 janvier 1785, cette pièce avait produit à la Comédie-Française (sans y comprendre la cinquantième représentation donnée au profit des pauvres sur la proposition de Beaumarchais) une recette brute de 346,197 livres, sur lesquelles, tous frais déduits, il restait aux comédiens en bénéfice net 293,755 livres, sauf la part d’auteur de Beaumarchais, évaluée à 41,499 livres. On voit que si le Mariage de Figaro pouvait être discuté comme œuvre d’art, il offrait comme élément de recette une valeur indiscutable. À la vérité, la pièce était montée avec un soin extrême et jouée avec une rare perfection.

Tous les rôles importans étaient confiés à des artistes de premier ordre : Mlle  Sainval, la tragédienne alors en vogue, sur les sollicitations de Beaumarchais, avait accepté le rôle de la comtesse Almaviva, dans lequel elle déployait un talent d’autant plus attrayant, qu’il était plus inattendu ; Mlle  Contat enchantait le public dans le rôle de Suzanne par la grâce, la finesse de son jeu, le charme de sa physionomie et de sa voix. Une très jeune et très jolie actrice, qui fut bientôt enlevée par la mort à la fleur de ses dix-huit ans, Mlle  Olivier, dont le talent, dit un contemporain, était naïf et frais comme sa figure,