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Polichinelle ; il y a des traits de caractère bien sentis et vivement rendus, des effets de scène très intéressans et très habilement amenés, un dialogue peu châtié parfois ou prétentieux, mais souvent attrayant pour les esprits, même les plus difficiles, par la prestesse avec laquelle les deux interlocuteurs se renvoient le volant des saillies sans jamais le laisser tomber par terre. Il y a dans l’action générale un entrain, un brio empruntés à la comédie espagnole, qui font passer par dessus les invraisemblances. Il y a enfin des parties de grosse gaieté et de charge qui ne sont pas celles qui ont le moins de succès. Beaumarchais n’avait pas le dédain de ces esprits trop délicats qui répugnent à se servir de certains moyens ; tout lui était bon : il voyait dans le public assemblé un grand enfant qui ne demande qu’à rire, et il ne se trompait guère. Depuis bientôt soixante-dix ans qu’on joue le Mariage de Figaro, la tirade sur goddam n’a jamais manqué d’égayer le parterre ; le bégaiement de Brid’oison, les glapissemens de l’huissier criant : Messieurs, silence ! dans la scène de l’audience, le langage pittoresque et grotesque de l’ivrogne Antonio, contribuent largement, pour leur part, à l’effet général.

Quoique ce rire de la farce, comme le nomme Geoffroy, ne soit pas plus à dédaigner chez Beaumarchais que chez Molière, où on le rencontre également, il est certain que si la Folle journée ne brillait que par là, elle perdrait beaucoup de son prix ; mais ce comique un peu fort, combiné avec tout le reste, contribue à donner à la pièce un avantage inappréciable et incomparable que toute l’élégance, toute la correction possibles ne donnent pas toujours, et qui s’appelle la vie. Cet avantage permet à la comédie de Beaumarchais de ne s’inquiéter pas plus de notre critique modérée que du dédain fastueux des aristarques les plus érudits.

Une question beaucoup moins souvent traitée que les précédentes, et qui cependant se présente ici tout naturellement, est celle de savoir jusqu’à quel point Beaumarchais, dans ses comédies espagnoles, a tiré parti du théâtre espagnol. Il me paraît incontestable que ses emprunts se réduisent à peu de chose. Les caractères sont très peu espagnols ; Almaviva ne ressemble guère à un grand d’Espagne, surtout à l’époque du droit du seigneur, si tant est que le droit du seigneur ait jamais existé en Espagne, ce dont je doute ; même en prenant Almaviva comme une figure française, il y a quelque chose de singulièrement hétéroclite dans cette coutume plus ou moins authentique du moyen âge qui vient ainsi se planter au beau milieu d’une comédie tout imprégnée des mœurs du XVIIIe siècle. Cependant l’ensemble de ces figures diverses offre je ne sais quelle nuance légère d’étrangeté assez difficile à définir, qui tient peut-être moins aux personnages en eux-mêmes qu’à leur nom, à leur costume, à la