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sépare par l’idée même de leur non-identité. Plus on creuse cette pensée, plus on reconnaît que si elle n’est pas une définition absolue, elle fournit au moins tout ce qu’il y a de plus de simple dans la conception de l’idée de distance, d’espace, d’étendue. Répétons donc : la notion de l’espace est la notion de ce qui différencie l’idée de deux êtres matériels coexistans.

Enfin le temps lui-même, regardé ordinairement comme si rebelle à toute définition, se ramène facilement aux notions les plus simples d’identité et de non-identité. Concevons un seul objet et pensons-y deux fois. La notion du temps sera la notion de ce qui différencie ces deux idées d’un même objet. Il est évident que les deux idées du même objet n’ont aucune autre distinction que leur successivité. La notion du temps est donc la notion de la non-identité de deux idées du même objet.

Ces définitions ou plutôt ces quasi-définitions de la matière, de l’espace et du temps, qui cependant, au fond, sont empiriques, c’est-à-dire fondées sur l’observation, vont nous servir de type pour d’autres définitions ou limitations des êtres dans la nature. Et d’abord rien de plus célèbre que la classification des êtres en trois règnes ou divisions : le règne minéral, le règne végétal et le règne animal. Plus récemment, on avait voulu réduire ces trois règnes à deux, savoir : le règne des êtres privés de la vie, ou règne inorganique, et le règne des êtres vivans, végétaux et animaux, sous le nom de règne organique. En raisonnant d’après la stricte règle de la philosophie empirique, qui admet comme ayant une existence spéciale, comme contenant un principe distinct, tous les objets qu’on ne peut ramener expérimentalement à l’identité, nous serons conduits à quatre ordres d’êtres de natures diverses, à quatre règnes de la nature, savoir : les trois anciens règnes minéral, végétal et animal, et de plus le règne humain, caractérisé par l’âme, l’intelligence, la pensée définie expérimentalement, comme étant ce que possède l’homme d’une race quelconque à l’exclusion de l’animal[1].

Quelques mots encore sur cette importante question. Dans les sciences d’observation, la mécanique, la physique, la chimie nous font connaître les propriétés qui distinguent les corps purement matériels : par exemple, le mouvement, la vitesse, le choc, la dureté, le poids, l’étendue, la chaleur, la couleur, la composition élémentaire, les réactions mutuelles. Là point de vie, point de reproduction, point de spontanéité, point d’organisation, point de mouvement volontaire.

Il n’en est pas de même si nous observons une plante : nous y reconnaissons tout de suite une organisation qui déroge à toutes les

  1. M. de Humboldt admet avec raison l’unité de l’espèce humaine.