contre l’absolu. Alors il faut ou plutôt il faudrait savoir ignorer, mais c’est à quoi il est bien pénible de se résoudre, surtout quand on a à soutenir une position scientifique acquise. Un Persan, à qui j’avais à son gré éclairci quelques doutes sur le système du monde, me demandait, comme un léger accessoire, de lui dire ce que c’est que l’âme! Beaucoup de ceux qui consultent les organes de la science sont un peu comme ce Persan, et les philosophes, soit dans leurs livres, soit dans leurs cours, sont toujours fort peines de dire : je ne sais pas. Il me semble pourtant qu’on peut hardiment convenir de son ignorance, pourvu qu’on ait la certitude qu’aucun autre n’en sait plus que soi.
Comme l’occasion s’offrira de revenir quelque jour sur la classification, sinon sur l’essence intime des êtres matériels, je me bornerai à faire remarquer que l’on trouve, en tête de tous les traités de physique, la matière, l’espace et le temps comme premiers principes des êtres. Peut-on concevoir des êtres en dehors de ces propriétés générales ? Peut-on, avec Berkeley, créer par l’intelligence un univers immatériel ? Puisque les êtres physiques ne sont pour nous que l’idée qui nous rend leur existence sensible, cette idée ne pourrait-elle pas naître et exister dans la pensée, dans l’intelligence, dans l’âme, sans résulter d’une action et d’une sensation matérielles ? Je laisse tout cela aux habiles, et, revenant à notre monde, conçu à l’ordinaire, je me demande à quelles dernières limites s’arrêtent les notions intellectuelles que nous avons sur la matière, l’espace et le temps. Voici, je crois, ce que l’on peut dire de plus simple sur cet objet, sans cependant se flatter d’avoir défini ce qui est indéfinissable.
La première perception de notre intelligence est celle de l’identité ou de la non-identité de deux êtres. Or l’être matériel qui agit sur nos sens, d’après sa définition empirique, diffère de notre pensée; cela lui constitue une propriété particulière, une existence à part qui peut sinon le définir, du moins le faire reconnaître. Ainsi l’être matériel se distingue par sa non-identité avec la faculté pensante, de laquelle évidemment nous devons partir. Voilà donc l’idée la plus primitive que l’on puisse avoir des corps, des substances matérielles, des êtres physiques. Cette idée, c’est que ces êtres sont distincts de la faculté pensante. Voyons pour l’espace.
Peut-on concevoir un corps sans lui attribuer tacitement ou explicitement une étendue, une place dans le monde, une largeur, une longueur, une épaisseur, des dimensions sensibles, et plus vulgairement un dessus et un dessous, un avant et un arrière, une droite et une gauche ? Je laisse tout cela à l’école dogmatique; mais, ramenant tout à la notion admise d’identité ou de non-identité, disons que, dès que la pensée conçoit deux corps, on a l’idée de l’espace qui les