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sans endommager un travail exquis, voilà ce qu’Archimède seul pouvait imaginer, ce qui lui faisait crier : Eurêka! je l’ai trouvé ! En un mot et par une seule image, il est infiniment plus aisé d’allumer mille flambeaux à un premier flambeau allumé déjà que de donner la flamme à ce premier flambeau lui-même.

En jetant ce rapide coup d’œil sur les œuvres si variées dont le Cosmos nous offre le résumé, laisserons-nous oublier qu’attaché à la cour du roi Frédéric-Guillaume IV, qui lui témoigne une considération, on peut dire même une affection aussi honorable pour le souverain que pour le savant, M. le baron Alexandre de Humboldt mène la vie de courtisan dans la plus stricte acception de ce mot ? Ainsi nous avons vu Cuvier et Arago donner une part de leur activité à la vie publique sans cesser d’être à la tête des sciences d’observation, l’un pour les sciences naturelles, l’autre pour les sciences mathématiques. Un grand honneur pour M. de Humboldt, c’est d’avoir été également initié et, qui plus est, praticien dans l’une et l’autre de ces grandes divisions qui se partagent les onze sections de notre Académie des sciences. L’auteur du Cosmos appartient à l’Institut de France comme associé étranger, et cette distinction est justement regardée comme la plus élevée où puisse atteindre une capacité scientifique, car ces associés, en très petit nombre d’ailleurs, sont choisis entre les sommités de tous les pays : ce sont les premiers entre les premiers de la science et de la renommée, primi inter primos.

Si l’on en juge par les dernières publications de M. de Humboldt, l’âge n’a point de prise encore sur cette vigoureuse intelligence[1]. Le Cosmos embrasse et résume, nous l’avons dit, tous les travaux de l’illustre savant. L’idée du Cosmos est développée dans les deux premiers volumes, un peu trop fortement empreints peut-être de cette métaphysique allemande qui mêle aux notions positives des sciences d’observation un reflet du raisonnement métaphysique de l’âme qui reçoit ces notions. L’homme a toujours été le même : l’ancienne dissidence entre les dogmatiques et les empiriques, entre les spéculateurs théoriques et les observateurs, entre les platoniciens et les partisans d’Aristote, subsiste toujours, et quoique dans la connaissance de la nature les progrès récens des sciences aient donné gain de cause aux observateurs sur les théoristes, qui osaient espérer de deviner la nature, cependant, et à juste titre, la théorie et les spéculations sont rentrées dans la science, mais, bien entendu, en ne s’écartant pas du domaine de celle-ci, limité et conquis par l’observation. Dans les premiers volumes de l’ouvrage de M. de Humboldt,

  1. M. de Humboldt est né en septembre 1769, l’année même qui avait donné à la France Napoléon et Cuvier. Il vient donc d’accomplir sa quatre-vingt-quatrième année.