Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/512

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous avions étudiés ensemble. Pendant longtemps encore, la colonisation en Algérie ne sera que le développement des créations ou des projets du maréchal Bugeaud; on peut même dire que sans lui il n’y aurait pas de colonisation dans l’Afrique française. Aussi, dans cette étude, n’ai-je poussé aucune de mes observations au-delà du printemps de 1847, époque où le maréchal quitta l’Afrique après avoir ouvert à ses successeurs une dernière voie par son expédition de Kabylie. Quoique bien ralentie depuis lors, la colonisation a fait cependant quelques progrès. D’abord elle est née en quelque sorte dans la province de Constantine et dans celle d’Oran, où il n’y avait encore que des villages routiers ou cantiniers et quelques ébauches ou projets d’ébauches de villages agricoles. Dans la province d’Alger même, les soins d’un directeur général intelligent et zélé, M. Frédéric Lacroix, ont fait reparaître un phénomène interrompu depuis quatre ans : la création de quelques villages. L’hiver de 1848-49 a vu fonder les villages de l’Arbâ et du Fort-de-l’Eau sans autre dépense de la part de l’état que les études et quelques travaux d’utilité publique. Ces villages, où l’on a laissé plus de marge à la spontanéité des colons, ont eu tout de suite un aspect de vie et une vie réelle qu’un heureux mouvement de saisons a d’ailleurs favorisée. A cet avantage ils joignaient celui d’être situés dans d’excellentes terres et composés d’anciens colons non encore pourvus de concessions attendues ailleurs ou dégoûtés de concessions ingrates, ou enfin voués jusque-là à travailler pour le compte d’autrui. Cela faisait une population très forte, à l’abri des erreurs ou des tâtonnemens de l’ignorance et des mécomptes de l’illusion. L’Arbâ est situé sur le territoire des Beni-Moussa et sur la route d’Aumale, à l’entrée des gorges de l’Oued-Djemâa. Il figurait déjà comme projet dans la ligne des villages du pied-de l’Atlas, interrompue à Souma en 1845. Le Fort-de-l’Eau, plus rapproché d’Alger, est sur le bord de la mer, un peu au-delà de la Maison-Carrée, à l’une des extrémités du territoire de la Rassauta : il est entièrement composé de Mahonnais, population vigoureuse, laborieuse, que le voisinage des iles Baléares fait affluer à Alger, où ils exercent généralement la profession de jardiniers et de petits fermiers.

Grâce aux 50 millions votés en 1848 pour les colonies parisiennes, les territoires militaires, jusque-là impénétrables, ont à leur tour attiré des colons. Il n’y a plus une ville de l’intérieur ou du littoral qui n’ait maintenant un, deux et jusqu’à trois villages dans sa banlieue. La population primitive a presque entièrement disparu et a été remplacée par des travailleurs sortant généralement de l’armée. C’est un excellent élément. Réussira-t-on à l’implanter par des procédés réguliers et constans qui servent les progrès de la colonisation sans grever l’état ? C’est là une question qui sera résolue tôt ou tard, il faut l’espérer. Il serait dans l’intérêt même de la colonisation, dans l’intérêt de l’émancipation des colons, que l’Algérie fit ses frais, c’est-à-dire qu’elle couvrit au moins les dépenses de son propre peuplement; mais si jamais ce but doit être atteint, il restera toujours au maréchal Bugeaud une place considérable dans l’histoire de la colonisation africaine. Dans cette œuvre pacifique comme dans celle de la guerre, c’est encore à lui que revient l’honneur d’avoir donné l’impulsion et frayé la voie.


A. BUSSIÈRE.