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tard il y aurait un étage et un plafond. Une autre charpente, dressée au-dessus de la première, dessinait la forme d’un toit qui n’existait pas encore. Pas un meuble, pas un chiffon, rien qui pût faire soupçonner que ce fût là l’habitation d’un être quelconque, et en effet il n’y avait pas là d’habitation. On y était sous le ciel et dans la rue. Pas un mur d’ailleurs n’avait reçu son crépi. Près de l’entrée, en dehors, se trouvait un rouleau de bois de caroubier long d’un mètre environ.

— Je vous ai dit, monsieur, que je construisais un moulin à huile; voici l’arbre de mon moulin. Prenez la peine d’entrer et de passer dans la cour : voici la pierre d’assise de mon moulin.

En effet, au milieu d’une cour toute petite et étroite, il y avait une dalle bien posée d’équerre.

— Voici la chaudière pour mon moulin.

Et en disant cela, il me montrait dans l’épaisseur du mur une niche semblable à celles où l’on met les poêles des salles à manger à Paris. Le bas de cette niche était rempli par le fourneau. Sur la tablette du fourneau se trouvait une poignée de vieux clous rouillés, tordus, de toutes les espèces et de toutes les formes. — Ce sont des clous pour mon moulin. Quand j’ai occasion d’aller à Alger, si j’ai un sou, j’achète comme cela une pincée de vieux fer, c’est toujours ça de fait.

— Très bien, lui dis-je ; je vois qu’il vous faudra du temps pour achever votre moulin, mais je sais que vous êtes persévérant. Ce qui m’inquiète, c’est de savoir où vous logerez d’ici-là, car tout ici est à la belle étoile.

— Ah ! monsieur, dit-il en souriant de l’air d’un homme qui ne se laisse pas prendre en défaut. Et rentrant aussitôt dans ce qu’il appelait la chambre, il va au mur du fond, ouvre une trappe en fer pratiquée à hauteur d’appui, et, se rangeant de côté pour me laisser voir : — Je vous avais dit, monsieur, que j’avais aussi construit un four, voyez-le. C’est là que je couche.

Ce four n’était nullement passé au fait de chaux, comme une chambre à coucher, mais au noir de fumée, comme un vrai four qu’il était.

— Vous cuisez donc aussi dans ce four ?

— Oui, monsieur.

— Mais alors vous avez du grain, de la farine.

— Non, monsieur. Ce sont les autres qui viennent cuire à mon four.

— En re cas, maintenant que vous avez tout vendu, et que vous avez été jusqu’à déterrer vos pommes de terre pour pouvoir manger pendant que vous faisiez vos défrichemens et que vous construisiez ce four, vous devez en tirer une petite ressource en en louant l’usage aux autres colons.

— Ah ! non, monsieur, ils sont si malheureux !

Cette réponse et le ton de candeur qui l’assaisonnait me coupèrent la parole. J’aurais volontiers glissé quelque argent dans la main de cet homme bienfaisant qui n’avait pas de chemise sous sa blouse. Je craignis de l’offenser; mais je lui demandai son nom, qu’il me donna : Melchior Pausson. C’est lui-même qui m’en a dicté l’orthographe.

Draria, à une lieue en avant de Baba-Hassen, et El-Achour, entre Draria et Deli-lbrahim, sont, à proprement parler, les deux derniers villages qui appartiennent à l’histoire de la colonisation. Les autres font en quelque sorte partie des jardins d’Alger. Ils n’ont pas eu à traverser les mêmes phases ni