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qui manquaient de tout, étaient devenues comme le grenier de la misère. Outre les admirables travaux par lesquels ils ont transformé cette plaine si funeste, que d’autres bienfaits ne leur ont pas dus les alentours ! Pendant les mauvaises années, des bandes d’enfans accouraient chaque jour de Deli-Ibrahim, qui est à une lieue et demie de Staouéli, d’Ouled-Fayet et de Saint-Ferdinand, qui sont à une lieue environ, de Sainte-Amélie et de Maëlma, qui sont à deux et à trois lieues. Ces enfans apportaient un bidon de fer-blanc qu’on leur remplissait de soupe ou de légumes cuits et qu’ils rapportaient à leurs parens. On distribuait ainsi régulièrement chaque jour jusqu’à trente soupes. Tout homme passant par la route n’avait qu’à sonner à la porte, on lui apportait à manger et à boire selon ses besoins. Les Arabes eux-mêmes profitaient parfois de cette hospitalité. Beaucoup d’ouvriers sans ouvrage s’abattaient sur la Trappe et y prenaient non-seulement un repas, mais un gîte dont ils usaient sans scrupule. Ceci amena bien vite un abus auquel on coupa court en envoyant ces hôtes, connus sous le nom de colons familiers, travailler aux défrichemens. On ne les gardait qu’à cette condition ; mais ceci réglé, ils devenaient, comme leur nom l’indique, membres adoptifs de la famille. Quoiqu’on ne leur donnât pas d’argent, si ce n’est pour des ouvrages ou dans des temps extraordinaires, comme la fenaison, et qu’on se bornât à rajuster leur toilette avec des défroques provenant de l’intendance militaire, un certain nombre s’attachaient à cette vie et ne s’occupaient plus de chercher mieux ailleurs. La plupart, il est vrai, étaient des hommes faibles d’intelligence ou de courage, et qui, peu capables de gagner rigoureusement leur salaire sous l’œil d’un maître exigeant parce qu’il paie, trouvaient plus doux de se laisser aller à vivre au jour le jour et sans l’inquiétude du lendemain, moyennant un travail charitablement surveillé. Il y avait constamment à la Trappe une vingtaine de ces colons familiers. Staouéli devenait ainsi une véritable succursale du dépôt des ouvriers établis à Alger, et le révérend père abbé a plus d’une fois offert à l’administration de prendre ce dépôt à sa charge, si l’on voulait lui donner ce que l’on dépense pour le maintenir inutilement dans le faubourg Bab-Azoun.

Ces détails peuvent donner une idée de l’importance des services que l’établissement de Staouéli a rendus à ce coin du Sahel, de la vie qu’il lui a donnée. Ces services au reste ne s’arrêtent pas à ce qui a été dit. Les trappistes ont un moulin à eau, et pour une faible rétribution ils y admettent les grains des villages environnans ; ils ont une forge et des ateliers de charronnage, et chaque jour ils sont la providence des attelages mis à mal au milieu de ces déserts par le mauvais état des chemins. Je ne sais comment sont aujourd’hui entretenues les routes ; mais si dans l’origine on avait mis un grand zèle à en ouvrir de tous côtés, il est vrai de dire que, pendant les premières années, on les a complètement abandonnées à elles-mêmes, et quelques-unes avant de les avoir terminées. Ces dernières restant infréquentées, la broussaille toute seule s’est chargée de les rendre à leur état primitif en repoussant de plus belle, ainsi que cela est arrivé pour celle d’Aïn-Benian à Cheragas. On l’avait arrêtée juste à l’endroit où elle était indispensable, c’est-à-dire à la traversée de l’Oued-Beni-Messous, ravin abrupt et en précipice. Aussi jamais l’ornière d’une charrette n’a pu s’empreindre sur cette route, et au bout