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qu’ils furent déposés au milieu de la broussaille, où, pour toute installation, ils trouvèrent deux ou trois grandes baraques de bois, en tonne d’A, que l’administration avait préparées pour les recevoir. Des matériaux de construction, bois, chaux, pierre, leur étaient en outre avancés jusqu’à concurrence d’une somme de 600 francs; mais, la plupart d’entre eux ne sachant pas employer ces matériaux, l’administration leur vint eu aide, en leur livrant tout construits des cadres de maisons en bois qu’ils n’eurent qu’à remplir. Ils se façonnèrent ainsi des habitations auxquelles ils ne surent pas donner une grande solidité, et que le premier hiver endommagea fortement. L’administration en vint donc au parti, généralement adopté depuis, de porter à 800 fr. la valeur de ses avances en matériaux, et de faire construire les maisons par des entrepreneurs. Dans d’autres villages, l’avance des 800 francs de matériaux suffit, mais sur cette somme il n’y avait de matériaux que pour une valeur effective de 600 francs. Le surplus payait le transport, que les colons n’étaient pas libres d’effectuer eux-mêmes, l’administration ayant traité avec des entrepreneurs. Ce système, s’il avait l’avantage de la régularité, avait aussi l’inconvénient de la cherté, car l’administration payait 45 francs, rendu sur place, le mètre cube de chaux que le colon eût payé 30 francs, pris au four, et transporté ensuite lui-même à peu de frais.

La population de Cheragas était active et industrieuse; elle se procura promptement des ressources, soit en portant des légumes au marché d’Alger, sait en allant faire des défrichemens pour le compte d’autrui dans les fermes et maisons de campagne des environs. Elle fut peu ou point éprouvée par les maladies, et elle dut sans doute en très grande partie son état sanitaire à l’état moral où l’entretenait sa force d’unité. En 1846, cette population était arrivée à 454 âmes dont 139 hommes, 89 femmes, 168 enfans et 58 domestiques; elle avait élevé 87 constructions en pierre, dont 7 dans la campagne et 12 aux portes du village, en dehors du fossé d’enceinte, dont elle demandait la suppression. Elle entretenait en activité cinq tuileries ou briqueteries, un four à chaux, un moulin à eau. Plus de la moitié de son territoire était défriché et en culture. 16 concessionnaires avaient déjà leurs titres de concession définitive depuis deux ans, c’est-à-dire que, depuis ce temps, ils avaient rempli toutes les obligations et conditions auxquelles ils étaient tenus envers le gouvernement.

Cheragas est un très joli village, entouré de plantations qui lui donnent un air de vie; mais, pour être complet, il lui manque un clocher. L’arbre et le clocher, deux symboles, deux signes visibles qui rattachent l’homme à la terre et à la foi de ses ancêtres! Ajoutons-y le cimetière, autre lien des générations qui manque également aux campagnes de l’Algérie. La broussaille est le tombeau commun, et le chacal vient librement paître, sur l’asile des morts, la grappe insipide du palmier nain. Il n’y a point de philosophie qui ne soit frappée d’une telle lacune dans l’aspect de cette nature d’Afrique, mais surtout quand on y retrouve la nature cultivée et civilisée. Par quelle singulière émotion, cela nous fut révélé à M. de T... et à moi le lendemain de notre passage à Cheragas ! D’Alger à ce village, on se croirait en Europe. Ces versans du Bouzaréah sont couverts d’habitations, de jardins, de cultures. On monte à El-Biar, espèce de faubourg d’Alger qui touche presque aux portes de