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appartenant aux colons étaient constamment facilités par les convois du train des équipages militaires, etc. — Eh bien ! vous le voyez, dit le maréchal, que gagneront-ils à passer de la tutelle paternelle de l’autorité militaire sous celle de l’autorité civile ? Sera-ce l’autorité civile qui leur prêtera ses bras pour bâtir leurs maisons, ou ses équipages pour y faire voyager leurs marchandises ? Où prendrait-elle cette abondance et cette variété de ressources que l’organisation de l’armée lui permet de mettre sans frais à la disposition des colons ? Que les faiseurs de théories qui les excitent à réclamer des garanties, des institutions civiles, viennent donc ici leur garantir d’abord la première de toutes les nécessités, celle de pouvoir subsister et s’établir dans le pays!

A cela on pouvait répondre : — Il est très vrai que l’armée peut faire pour les colons ce que ne pourrait pas l’autorité civile; mais est-il donc absolument indispensable que, pour leur prêter une assistance dont ils lui rendent d’ailleurs l’équivalent sous mille formes, elle soit investie du droit de les administrer et de les juger ? S’il n’y a avantage réel ni pour les colons ni pour l’armée au maintien d’un état de choses contre lequel ils protestent, est-ce donc uniquement à titre de sujets que l’armée persisterait à les retenir sous sa juridiction, et la France non militaire doit-elle ici se ranger dans la catégorie des vaincus ? Ce n’est pas ainsi que les Romains, nos maîtres en colonisation, et qui en ont laissé de si beaux vestiges en Algérie, entendaient la condition du citoyen romain transporté dans la colonie. La loi de Rome tout entière l’y suivait et l’y protégeait comme à Rome même, et le proconsul n’avait pas le droit de lui imposer d’autres juges ni d’autres sanctions que ceux de cette loi. Civis Romanus ego sum! On ne voit pas que cela ait nui à l’essor des colonies romaines. Le maréchal, qui était plein de cette étude et de ces souvenirs, aurait pu en faire l’application à la question présente. A Orléansville, tout les lui rappelait, jusqu’au nom arabe de ce site repeuplé par nous[1]. La ville française est en effet bâtie au-dessus d’une ancienne ville romaine qui s’est ensevelie dans sa propre poussière. Le sol ancien se retrouve aujourd’hui sous les fondations de la ville nouvelle, et forme le fond des caves. On a mis à découvert de précieux vestiges de l’antiquité, entre autres une grande mosaïque de l’époque chrétienne et parfaitement conservée. On a dégagé entièrement la mosaïque; par malheur, les travaux en sont restés là. Rien ne la protège, et à l’époque où nous l’avons vue, l’excavation qu’on avait pratiquée pour la mettre à découvert était un cloaque où s’abritaient toutes sortes d’immondices.

Pendant le dîner, on nous annonça l’arrivée du commandant Féray, gendre du maréchal, qu’un bateau à vapeur avait transporté d’Alger à Ténès, et qui de Ténès était venu nous rejoindre à Orléansville en compagnie du lieutenant-colonel Canrobert, commandant supérieur du cercle de Ténès. M. de T.., avant de partir d’Alger, s’était réservé près du maréchal la liberté de ne pas l’accompagner jusqu’au bout. Les études qu’il avait à faire sur la colonisation des environs d’Alger, les rendez-vous qu’il avait aussi pris dans la province de Constantine et la prochaine rentrée des chambres, à laquelle il voulait être présent, lui faisaient une loi de ne point dépasser Orléansville. Le bateau à

  1. El-Asnam, les colonnes, les statues, ou, d’une manière plus générique, les sculptures.