Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/474

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la tente. Ces longs bâtons dans les rangs offrent même un spectacle assez étrange à des yeux qui n’ont pu voir de troupes qu’en Europe. Vu de derrière dans cet équipage, le soldat disparaît complètement. On n’aperçoit plus en quelque sorte qu’un ballot qui marche. Aussi les Arabes, assez enclins à dédaigner le fantassin, appelaient le nôtre à l’origine askeur djemel (fantassin-chameau). Quoi qu’il en soit, c’est dans cet attirail que notre infanterie a poursuivi sans la laisser respirer la cavalerie d’Abd-el-Kader, a éreinté, cerné et acculé un ennemi qui semblait avoir des ailes, a exterminé ses tribus nomades, bien plus encore par la fatigue et l’épuisement que par le fer et le feu. Mais on a vu par quels moyens le maréchal était parvenu à faire, quand il le voulait, de cette infanterie si lourdement chargée, une troupe plus légère devant l’ennemi qu’à la parade. C’est de ces objets qu’il nous entretenait en cheminant dans la vallée du Chelif. « J’ai rendu, disait-il, l’armée française bien agile, et je crois avoir presque atteint, sous ce point de vue, le dernier terme où l’on puisse aspirer. Peut-être cependant y a-t-il encore quelque chose à faire... Je ne sais, il se pourrait que de l’infanterie montée, des mulets….. un mulet pourrait porter deux hommes….. Il n’achevait pas. On voyait qu’il cherchait le moyen de conserver son infanterie fraîche, ou de pouvoir la faire marcher tout en la reposant, lorsqu’elle serait fatiguée; mais cela nécessitait des mulets de main et par conséquent allongeait les convois : voilà pourquoi sans doute ce qu’il laissait percer de ce projet restait à l’état inachevé de monologue avec sa propre pensée. On comprend combien, dans cette préoccupation constante, il devait priser l’invention du garde-magasin qui avait trouvé le moyen de fournir un logement de campagne aux soldats, sans même ajouter un mulet aux convois. « Cette invention, disait-il, a été le salut de l’armée. Elle nous a permis de tenir la campagne pendant des mois entiers sans voir nos colonnes fondre dans les ambulances. Aucun homme n’a rendu un plus grand service à son pays, à l’humanité. »

Du Djendel, nous devions aller coucher à Miliana. Nous n’avions donc plus besoin de notre infanterie pour la garde de notre camp cette seconde nuit. Nos deux compagnies retournèrent à Médéa, non sans mille recommandations du maréchal au commandant du détachement. — Ne vous pressez pas; faites-les bien reposer. Aujourd’hui vous avez le temps. — Nous-mêmes, à l’aube du jour, nous montâmes à cheval après leur avoir fait nos adieux et en jetant un dernier regard sur la maison si dépaysée de Bou-Alem, sur le misérable douar qu’elle dominait et sur nos tentes qu’on repliait.

Nous primes notre route vers la vallée que nous ne devions plus quitter jusqu’à Orléansville. Nous descendions tranquillement de mamelon en mamelon et d’ondulation en ondulation, à la lueur d’un jour encore incertain, lorsque tout à coup nous nous aperçûmes que nous avions une escorte d’un nouveau genre. Nous avions bien entrevu, dans la pénombre et en avant de nous, deux ou trois groupes de cavaliers bédouins qui semblaient nous servir de guides; mais ces cinq ou six hommes, qui peut-être étaient là comme curieux ou s’en allaient au marché voisin, ne nous avaient nullement donné à soupçonner le régal qui nous attendait. Voilà qu’au premier rayon de soleil, un ouragan de bernous se précipite sur nous au grand galop de cent