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Marabout d’Aumale. On réussit pou à remplir la partie, du programme qui consistait à recruter des colons d’une catégorie un peu aisée. Quelques-uns payèrent en effet leur maison ou leur moitié de maison; ce fut le très petit nombre : tout le reste donna quelque à-compte et demanda du temps. La plupart ont sans doute renoncé aujourd’hui à achever le paiement, et le gouvernement à le recouvrer. Ils ont d’ailleurs reçu les mêmes secours que les colons du premier système. Le plan du colonel Marengo reposait tout entier sur une idée d’économie : il s’agissait de créer une colonisation qui, pouvant voler de ses propres ailes, ne coûtât rien à l’état. Les élémens ont manqué, et d’ailleurs, dans la population agricole jouissant d’une petite aisance, il eût été difficile de trouver assez de familles disposées à se coupler deux par deux dans ces incommodes petites maisons à deux compartimens symétriques. Trop de choses y étaient forcément en commun pour ne pas froisser les instincts de gens qui ont au plus haut point le goût et déjà quelque habitude de la propriété. Comme dernier expédient d’économie, le colonel Marengo avait supprimé dans ses villages le fossé et le revêtement d’enceinte. Il avait remplacé ce moyen de défense par des meurtrières percées dans les quatre faces des maisons, ce qui leur permettait de se défendre mutuellement en balayant, par une fusillade nourrie, la rue ou les jardins envahis : moyen très simple, auquel on aurait pu songer plus tôt, car il était suffisamment efficace contre des agresseurs arabes.

Il y eut aussi des entrepreneurs de poche qui proposèrent de fonder des villages à la fois agricoles et maritimes, moyennant des concessions qui leur furent accordées, à Aïn-Benian, à Sidi-Ferruch et à Notre-Dame de Fouka. Les villages furent bâtis, si l’on peut appeler villages deux files de baraques blanches, composées d’une seule chambre, dans lesquelles j’ai vu pousser le palmier nain. A Sidi-Ferruch, on pêcha en effet, et la pêche put se soutenir pendant quelques années, grâce à l’énergie d’un homme doué d’un rare courage; mais on ne cultiva guère, et la pêche elle-même finit par succomber. A Aïn-Benian et à Notre-Dame de Fouka, il n’y eut ni pêche ni culture, et les vents et la pluie ou même les palmiers nains auraient fini par jeter à terre les baraques d’Aïn-Benian, si des charbonniers n’étaient venus en dernier lieu s’y installer pour exploiter les broussailles des environs.

Le maréchal ouvrait donc le champ libre à tous ces systèmes. Tout en parlant avec un sourire des colons gants-jaunes du système Lamoricière, il admit aussi les grandes concessions pour les colons à capitaux; toutefois son idée à lui, sa conviction profonde était que l’élément de colonisation le plus sérieux, le plus à portée, le plus facile à recruter, était dans l’armée. Il y avait beaucoup de vrai au fond de cette idée. L’armée fournissait en abondance des hommes jeunes encore, rompus aux fatigues, acclimatés, ayant pris goût au pays et élevés dans les travaux des champs; mais ces soldats ne sont généralement soldats que parce qu’ils n’ont pu trouver dans leur famille les 600 fr. nécessaires pour se faire assurer à la caisse des remplacemens : où prendraient-ils de quoi pourvoir aux premières et aux plus immédiates nécessités de leur Installation dans la vie de colons ? Là était le problème que le maréchal avait à résoudre. Il voulait à la fois récompenser l’année, assurer à la colonisation un élément vivace, fort, et pour ainsi dire intarissable, enfin ménager autant