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cette réaction non moins révolutionnaire que la révolution elle-même.

La victoire de thermidor, comme toutes les victoires précédentes, fut scellée du sang des vaincus. Robespierre et ses deux acolytes n’étaient pas tombés seuls; outre son frère et Lebas, qui voulurent mourir avec lui, outre Henriot, Coffinhal et quelques représentans, soixante-dix membres de la commune et vingt et un autres individus, en tout cent trois personnes, furent dans les vingt-quatre heures envoyés au supplice sans jugement, sans discussion, sans constatation régulière de l’identité de chacun, en masse, par catégorie, la plupart sur de simples ouï-dire ou sur la proposition à peine écoutée de tel ou tel représentant. « Cette clôture de la terreur, dit M. de Barante, lui appartenait donc encore. »

Le lendemain commença la guerre entre les vainqueurs. Ils étaient de deux sortes. Nous ne parlons pas des membres de la plaine : ceux-là n’avaient pris parti que vers la fin de la journée, lorsque le sort s’était prononcé, lorsque leur maître était presque à terre; nous parlons des meneurs. C’étaient d’abord les terroristes du comité, les Billaud-Varennes, les Collot d’Herbois, séides de Robespierre, s’il n’eût pris fantaisie de se débarrasser d’eux, admirant sa politique, choqués seulement de son orgueil, de sa dévotion à l’Etre suprême et de ses airs de marquis; du reste les mains encore fumantes du sang versé dans leurs missions, se glorifiant de l’avoir répandu, se promettant de faire longtemps encore transpirer le corps social par raison de santé, et professant, comme leur ami Barrère, que les morts seuls ne reviennent pas. À ces gens-là s’étaient unis, pour le jour du combat, les Tallien, les Barras, les Bourdon, les Legendre, tous amis et disciples de Danton, montagnards et septembriseurs comme lui. Ils l’avaient renié prudemment après sa chute; ils s’étaient fait oublier sur quelques bancs obscurs de la montagne, mais l’occasion d’une revanche et surtout la perspective d’un danger personnel leur avaient subitement rendu le courage et la voix.

A qui allait passer l’héritage de Robespierre? Des deux côtés les hommes se valaient. Entre Collot d’Herbois et Tallien, par exemple, quelle était la différence? L’un venait de faire de la terreur à Lyon, l’autre en avait fait six mois auparavant à Bordeaux. Seulement un instinct secret, une certaine habitude d’obéir aux circonstances, avaient averti Tallien et ses amis que la chance pouvait tourner, que mieux valait servir la république avec un peu moins d’ardeur. Ils n’en restaient pas moins jacobins au fond de l’âme, sans remords et même sans regrets. Pourquoi rougir de leurs anciens exploits? Que pouvaient-ils se reprocher? Ils avaient eu la fièvre comme tout le monde; ils avaient agi selon le temps. — Tel est, dit M. de Barante,