du Daghestan. Shamyl a établi aussi des postes afin de transmettre rapidement les nouvelles; chaque village doit tenir toujours des chevaux prêts à partir, et des courriers munis d’un passeport revêtu du sceau du naïb parcourent ainsi de longues distances avec une célérité merveilleuse. Les récompenses accordées au courage sont des ordres et des décorations; elles consistent surtout en médailles d’argent ornées d’inscriptions poétiquement expressives. Les punitions infligées au lâche, au traître, au voleur, au meurtrier, sont consignées dans un code qui est l’œuvre du prophète. La peine de mort y figure sous trois formes différentes, selon le degré d’infamie que le juge a prétendu attacher au crime. Pour s’assurer l’obéissance dont il a besoin, Shamyl laisse croire à son peuple qu’il a des entretiens avec Allah. Ces visions ont lieu une fois par an; il s’y prépare par de longues retraites, par des jeûnes et des prières. Pendant ce temps-là, sa maison est gardée avec soin, et nul n’y peut pénétrer. Enfin la retraite est finie, le ciel s’est révélé à son prophète, et Shamyl, appelant autour de lui les prêtres et les naïbs, leur communique les volontés d’Allah !
On connaît maintenant les deux hommes que la guerre du Caucase met aux prises depuis bientôt dix ans. Le prince Woronzoff et le prophète Shamyl sont dignes de lutter ensemble. Investis tous deux d’une dictature extraordinaire, ils combattent tous deux pour une cause qui les passionne. Le prince Woronzoff se considère comme un des pionniers de la civilisation ; Shamyl est le sauveur de la foi de ses pères et le rempart de la patrie menacée. De grands faits d’armes ont signalé cette période nouvelle. La première pensée du prince Woronzoff fut d’effacer dans le sang des Tchétchens l’humiliation infligée au général Grabbe; il fallait que la forteresse de Dargo fût détruite, et tel a été en effet le résultat de la brillante expédition de 1845. Après cet acte de vigueur, le prince Woronzoff, étudiant la tactique de son ennemi, résolut d’approprier l’attaque aux conditions de la lutte. Il n’y avait eu jusque-là que deux systèmes : la guerre défensive et les expéditions aventureuses. Une attitude simplement défensive, tout en refoulant les Caucasiens dans leurs montagnes, leur permettait de s’unir entre eux et de développer les institutions de Shamyl; les expéditions, on l’avait déjà vu, n’offraient que des chances bien incertaines; le soldat russe ne sait pas se battre sur ces pentes hérissées que gravissent si gaiement nos bataillons. L’important, c’était d’abord de détruire cette unité nationale qu’on avait eu l’imprudence de laisser croître; il fallait briser ces liens, il fallait aussi diviser l’armée de Shamyl, arriver subitement sur des points éloignés, et obliger les cavaliers tchétchens à se porter de plusieurs côtés à la fois.
Après la victoire de Dargo, le comte Woronzoff, élevé à la dignité de prince, eut une longue conférence à Sévastopol avec l’empereur