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retranchemens ! une balle, lancée par un Freyschütz invisible, retendait sur la place. Le premier assaut coûta cher à la colonne du général Grabbe : sur quinze cents hommes qui tentèrent l’escalade, il n’en revint pas cent cinquante. Le général Grabbe ne se découragea pas. Un second et un troisième assaut, moins meurtriers que le premier, assurèrent aux Russes la possession de deux points importans. On se mit alors à miner le rocher. Étonnés de l’immobilité apparente de l’ennemi et effrayés du bruit de la sape, les assiégés étaient sortis de leurs retraites afin de découvrir ce qu’on préparait contre eux; les Russes profitèrent de l’occasion, et un quatrième assaut, énergiquement dirigé, donna la forteresse au général Grabbe. C’est le 22 août 1839 qu’eut lieu la prise) d’Akulcho; le siège durait depuis près de quatre mois. Exaspérés par cette longue résistance, les Russes ne firent point de quartier. Après le massacre, on chercha partout, mais en vain, le cadavre de Shamyl. Il y avait dans les flancs de la montagne des cavernes où s’étaient retirés un certain nombre de Tchétchens; c’est de là que le hardi prophète et, les siens s’apprêtaient encore à frapper de mort plus d’un infidèle. Qu’allait-il devenir cependant ? Impossible de fuir ou de résister longtemps, toutes les issues étaient au pouvoir de l’ennemi. Les murides qui l’accompagnaient n’hésitèrent pas à sacrifier leur vie pour sauver le chef de la foi. Avec quelques solives trouvées dans la caverne, ils construisent une sorte de radeau, le jettent dans le fleuve Koysou, qui coule au pied du rocher, et s’élancent eux-mêmes du haut de la caverne sur l’embarcation flottante. À ce coup hardi, les Russes ne doutent pas que Shamyl ne soit là. L’ordre est donné de poursuivre le radeau; l’infanterie le suit sur les deux rives, et les Cosaques lancent leurs chevaux à la nage pour s’emparer du prophète. Or, tandis que toute l’attention des Russes était tournée de ce côté, un homme s’élançait dans le Koysou, et, traversant le fleuve à la nage, disparaissait dans les montagnes. Les Tchétchens du radeau avaient tous péri en se défendant, mais Shamyl était sauvé. Qu’on se représente l’apparition du prophète au milieu des populations qui venaient d’apprendre la ruine d’Akulcho! On le croyait enseveli sous les ruines, et tout à coup il ressuscitait d’entre les morts. N’était-il pas manifestement l’envoyé de Dieu ? L’autorité de Shamyl n’a jamais été plus grande que depuis cette héroïque défaite.

Après la prise d’Akulcho, Shamyl résolut de prêcher la guerre sainte aux Tcherkesses. Il avait échoué en 1836 auprès des Awares, importante peuplade du Daghestan complètement soumise à la Russie; il espéra que les Caucasiens de la Mer-Noire se joindraient aux Caucasiens de la mer Caspienne, car tous ceux-là, les seuls Awares exceptés, étaient enrôlés sous sa bannière et formaient presque une