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croyait invulnérable : sûr de ses jacobins, sûr de la nouvelle commune, son œuvre, son enfant, tout lui semblait possible. Il ne quittait le comité que pour y rentrer bientôt en maître plus absolu, après une épuration dont il dressait déjà la liste. Ce qu’il ne voyait pas, c’est que l’émeute, son moyen habituel d’imposer sa volonté, commençait à avoir fait son temps. A force d’élargir le cercle des proscriptions, à force d’ensanglanter aussi bien les échoppes que les châteaux, on avait guéri tout le monde de la fièvre révolutionnaire; la populace avait perdu son feu; ses chefs étaient sans entrain; les ressorts de l’insurrection étaient usés et détendus. Robespierre obéissait donc à une routine à la fois impuissante et dangereuse en organisant un nouveau 31 mai contre ses derniers amis et ses derniers complices. Quant à ceux-ci, forcés de se défendre, forcés de risquer leurs têtes pour essayer de les sauver, ils ne s’apercevaient pas davantage de l’état nouveau des esprits. Aucun d’eux ne s’imaginait que l’heure de la justice eût sonné, aucun d’eux ne songeait à gouverner sans la guillotine; seulement ils n’en voulaient que pour autrui, pas pour eux. Ils se dévouaient non pour délivrer la France d’un tyran, mais pour échapper eux-mêmes à la tyrannie, sauf ennsuite à en hériter.

Quel que fût leur motif, ils osèrent résister. Pour réussir, il n’en fallait pas davantage. Ici commence une ère toute nouvelle. Nous entrons dans la troisième phase de la vie de la convention et dans les deux derniers volumes de l’histoire de M. de Barante. C’est là que s’achève et se complète le tableau de la terreur, car rien ne fait comprendre ce qu’elle a été comme de voir ce qu’il a fallu de temps, d’efforts et de sang pour en sortir, c’est-à-dire pour renoncer aux habitudes violentes et despotiques qu’elle avait fait contracter, pour accoutumer les esprits à un autre procédé de gouvernement que l’oppression et l’extermination. On se figure assez généralement le 9 thermidor comme un changement à vue, comme une grande et subite délivrance; on croit que du soir au matin la France a recouvré la vie et la liberté, que toutes les poitrines ont aussitôt respiré largement, que le règne de la justice a été sinon rétabli de fait, du moins hautement reconnu et proclamé. Consultez M. de Barante, et vous saurez à quoi vous en tenir. Cette partie de son livre est vraiment neuve et instructive; elle est à la fois plus franchement originale et d’une vérité plus saisissante que tout le reste de l’ouvrage. Nul n’avait compris comme lui et si bien mis au jour les caractères complexes de cette époque, ses instincts pervertis, ses penchans tyranniques, sa perpétuelle confusion des idées de justice et de vengeance; jamais on n’avait analysé du haut d’une politique aussi saine et aussi libérale l’esprit thermidorien, c’est-à-dire l’état de la France durant