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débrouille cette confuse histoire avec beaucoup de précision et de netteté. Cette lutte, qui devait être si longue et causer de si cruelles humiliations à l’armée russe, s’annonça d’abord heureusement. Au Xe siècle, le grand-duc Swatoslaff s’empare d’une partie de l’ancien royaume du Bosphore; au XVIe le grand-duc Wassiljewitch envahit la région orientale du Caucase et établit des postes militaires le long de la mer Caspienne. C’est vers le même temps que les Russes entrent en relations avec les royaumes transcaucasiens. La Géorgie avait été ravagée déjà plus d’une fois par les Mongols et les Tatares; menacé de tous côtés par les puissances musulmanes, le roi Alexandre se résolut, en 1594, à prêter le serment de vasselage aux souverains moscovites. La Géorgie voulait se donner un protecteur; mais pendant un siècle et demi, occupé qu’il était à d’autres guerres plus urgentes, le protecteur si impatiemment attendu ne vint pas, et quand il put enfin répondre à l’appel suppliant des chrétiens de Tiflis, ce ne fut plus un protecteur, ce fut un maître.

A la fin du XVIIIe siècle, le roi de Géorgie, Héraclius, menacé par les Perses et les Turcs, est obligé de se livrer aux tsars; il signe un traité par lequel les rois de Géorgie, avant de monter sur le trône, s’engagent à faire confirmer leur pouvoir par la Russie. Pendant que les Russes s’avançaient ainsi au cœur de ces belles provinces, ils faisaient de médiocres progrès dans le Daghestan. Les pères de ces hommes qui combattent aujourd’hui sous les drapeaux de Shamyl avaient repoussé Gengis-Khan et Tamerlan; Pierre le Grand, vainqueur de Charles XII, se fit battre vers 1730 par le Shamyl de ce temps-là. C’était un chef musulman nommé Schamchal, qui prêchait aussi la guerre sainte, et qui, s’il fallait en croire les récits manifestement exagérés de Klaproth, aurait réuni une armée de quatre-vingt mille hommes. Ce que Schamchal avait fait au commencement du XVIIIe siècle, Scheick-Mansour le fit vers 1789; il réveilla par ses prédications fougueuses le fanatisme musulman, il détruisit le christianisme dans le Caucase partout où les prêtres arméniens l’avaient porté, et sema les germes de cette exaltation patriotique et religieuse qui aujourd’hui encore, après plus de cinquante ans, oppose un si terrible obstacle aux desseins de la Russie. Cependant les Russes s’établissaient de plus en plus dans les royaumes situés au sud du Caucase; une invasion des Perses, qui prirent et pillèrent Tiflis à la fin du dernier siècle, leur fournit une occasion de mettre la main sur cette riche proie, et l’année 1800 un ukase du tsar Paul incorpora la Géorgie à l’empire, « pour imposer un terme, disait le tsar, à l’anarchie qui désole ces contrées. »

Avec la conquête de la Géorgie commence la guerre régulière des Russes et des Tchétchens. Ce n’étaient jusque-là que des luttes