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même temps qu’ils invoquent l’archange Michel et le prophète Élie, sans savoir d’ailleurs ce que ces deux noms représentent. M. Bodenstedt décrit certaines églises ossètes, expressif symbole de cette confusion. Construites sur les ruines des anciens autels, elles portent la double empreinte musulmane et chrétienne ; derrière les images des saints et les arabesques du Koran, on aperçoit encore les grossières statues des dieux païens.

Les Abschases, les Kabardiens et les Adighés, trois branches principales de la famille tcherkesse, ont obtenu de vives sympathies qui paraissent mieux justifiées. Déjà, au XVIIIe siècle, le comte Potocki et le savant naturaliste Pallas, qui visitait le Caucase avec une mission du gouvernement russe, s’extasiaient sur cette généreuse race de chevaliers. Le célèbre M. David Urquhardt, dont l’opinion est plus suspecte en tout ce qui concerne la Russie, devait être un admirateur passionné de ces peuples du Caucase, qu’il appelle les protecteurs de l’empire anglais dans les Indes ; on ne s’étonnera pas qu’il attribue au Tcherkesse le courage du montagnard, la distinction du gentleman et la candide simplicité de l’enfant. Ces exagérations plaisantes ont été assez aigrement contredites par un autre Anglais, M. Longworth, dont on a un curieux livre sur la Circassie : A Year among the Circassians. Il y a beaucoup à rabattre de l’enthousiasme de M. Urquhardt et des critiques amères de M. Longworth. M. Bodenstedt et M. Wagner me paraissent tracer une peinture plus fidèle de la réalité, lorsqu’ils sympathisent avec les Tcherkesses sans en faire le type idéal du genre humain. Quoiqu’il y ait certes bien des ombres au tableau, un peuple exalté par de fortes passions nationales et entretenu dans la simplicité du monde primitif doit présenter de nobles traits à un observateur impartial. Je ne parle pas seulement des cœurs généreux et poétiques comme M. Bodenstedt, M. Wagner est presque toujours du même avis, et les officiers russes eux-mêmes ressentent une sincère admiration pour les brillans cavaliers de la Kabarda et du pays des Abschases.

Les Adighés surtout, — les vrais Tcherkesses, — sont incontestablement la plus noble race du Caucase. Ils mêlent quelque chose de chevaleresque à la férocité naturelle du barbare. Leur constitution, aristocratique et libre comme celle des premiers Germains, entretient chez eux un certain sentiment de la règle qui ne nuit pas à la fierté. On sait combien le type de leur visage est beau. Leur religion, assez semblable à celle des Abschases, est un mélange de christianisme, d’islamisme et de paganisme, mélange moins grossier pourtant que chez les Ossètes ; en Ossétie, c’est le christianisme qui domine, c’est l’islamisme chez les Adighés. Dans ses curieuses recherches sur tous ces peuples, M. Bodenstedt s’est convaincu que le