aujourd’hui encore de les surveiller à toute heure, ils ont conservé l’impétueuse intrépidité de leurs ancêtres, tandis que les Cosaques du Don s’amollissent dans le repos. Redoutés du Tcherkesse, ils le sont presque autant du Moscovite. Si le mot Cosaque, au dire de quelques philosophes, signifie cavalier libre, les Tchernomorzes méritent parfaitement le nom dont ils sont fiers. C’est une formule très usitée chez eux : Ja nä soldat, ja Kasak (je ne suis pas soldat, je suis Cosaque). La Russie, qui a complètement discipliné les Cosaques du Don, est forcée de garder des ménagemens de toute sorte avec les Cosaques de la Mer-Noire. Comment les dompter en effet ? La liberté leur offre mille refuges. Si les chefs exigeaient d’eux plus d’obéissance qu’ils n’en veulent accorder, si le joug de la discipline pesait trop lourdement à leur orgueil, ils n’auraient qu’à monter dans leurs bateaux; les vagues de la Mer-Noire, avec lesquelles ils ont lutté si souvent, les conduiraient aux côtes d’Anatolie. Au-delà du Kouban, la grande et la petite Kabarda s’ouvrent à eux, steppes immenses où des Circassiens soumis, il est vrai, mais toujours hostiles au Moscovite, accueilleraient dans leurs rangs un frère nomade. Il leur resterait enfin, comme extrême ressource, la montagne même et l’amitié du Tcherkesse. Ces ennemis en apparence si implacables, faudrait-il beaucoup d’efforts pour les réconcilier ? La Russie sait bien que non, et elle laisse au Cosaque tchernomorze toute l’indépendance dont il a besoin.
Au reste, les séductions de la vie civilisée feront plus pour enchaîner le Cosaque à la Russie que toutes les rigueurs de la discipline. S’il faut en croire M. Wagner, la vieille race des Cosaques de la Mer-Noire est en train de disparaître. C’est toujours une cavalerie légère d’une admirable audace, ce sont toujours ces tirailleurs intrépides que le duc de Raguse a vantés dans son Esprit des institutions militaires; ce n’est plus le fils d’Attila dont parle le poète des Iambes.
Le Hun, le Hun stupide à la peau sale et rance.
M. Wagner a rencontré à Fanagoria un officier dont la famille offre un remarquable exemple des transformations accomplies depuis un demi- siècle dans les rangs des Cosaques. Le père de cet officier était un chef célèbre, Wassily Iguroff, ignorant, fanatique, terrible dans la bataille et passionné pour les ducats d’or qu’il accumulait au fond de sa hutte. Lors des guerres de Napoléon, son grand âge l’avait dispensé du service; mais en 1812, quand il sut que les Français entraient en Russie, quand il vit le tsar appeler tous ses peuples à la défense de la foi orthodoxe, il partit entouré de ses enfans. Le petit-fils de Wassily, en racontant à M. Wagner les hauts faits du vieux Cosaque, semblait agité par mille réflexions soucieuses. Lorsqu’il eut