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aussi, je hais la médiocrité. Je ne me donne pas à vous pour un grand poète, mais comme un poète sincère, si humble qu’il soit. » Nous avons cité ces lignes, bien qu’elles se rapportent à un incident dont nous n’ayons gardé aucun souvenir, parce qu’elles expliquent assez bien notre première de voir et de procéder. Ce n’est pas notre faute si les poètes contemporains ne nous offrent pas plus souvent l’occasion de faire connaître leurs tentatives; les conseils pleins de franchise que la critique a pu leur donner ici ne sont-ils pas même une preuve de l’intérêt qu’ils y inspirent ? Et si nous recevions plus souvent des vers indiquant, comme ceux qui suivent, un heureux effort vers la poésie intime et familière, peut-être serions-nous bien près de nous entendre.


PAYSAGES DE CHAMPAGNE.
A MA MÈRE.

Vous partez, vous allez, d’une pleine paupière,
Revoir nos peupliers au bord de la rivière;
Nous les aimons tous deux; ils se baignent si beaux
Dans le bleu si profond et le calme des eaux !
Ce serait un bonheur de s’asseoir sous leur ombre.
De lire, de rêver, penché sur le flot sombre !
Le bois de l’autre rive où l’écho nous répond,
La vache qui mugit en passant sur le pont.
Tout cela me revient en un frais paysage,
Et la brise du soir m’inonde le visage.
Ce serait à présent le plus cher de mes vœux
De sentir cette brise effleurer mes cheveux.
De regarder couler à mes pieds, en silence.
Le penser sans effort, le flot sans violence;
Rester là plein d’oubli, puis, quand je serais las,
Quitter enfin la rive et fouler sous mes pas
L’herbe qui sous l’ombrage a gardé sa rosée;
«Voir cette vieille vigne au levant exposée.
Dont le raisin mûrit pour la soif du passant !
Pendant du cep noueux, le pampre est jaunissant.
Je vous en aime mieux, ô tige vieillissante
Qui redonnez toujours, quand l’automne est récente,
La grappe plus exquise et le fruit plus doré !
Sur ces contrevens verts, le matin empourpré
A de plus beaux rayons à travers le feuillage;
Le moineau qui, sans peur, rôde sous le treillage,
 — Prenez garde au pillard, ô brave jardinier! —
C’est la gaîté du lieu, c’est l’esprit familier :
Le passant, grâce à lui, la grappe à peine mûre,
Est frustré de son bien quelquefois, et murmure;
Et lorsque vient le jour où l’on doit vendanger,
Cueillir les beaux raisins qu’en file on sait ranger.
Voyez donc le malheur : le panier reste vide.
Et cela, maître Jean, grâce au pillard avide.