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vérités qu’elle démontre le plus clairement, car elle en démontre encore plus d’une autre. Évidemment M. Kraitsir n’est qu’une unité au milieu des multitudes qui combattent au nom du rationalisme (comme on dit) pour inspirer le mépris du passé et pour ramener toutes les choses humaines à des principes philosophiques. Des méthodes rationnelles! ce sont là de beaux mots; mais ils ne servent qu’à duper l’intelligence, et la grammaire rationnelle que rêve M. Kraitsir est comme un exemple palpable de ce que vaudraient des institutions rationnelles suivant le sens donné à ce terme. Elle serait bonne sans doute pour répondre à la curiosité des esprits mûrs, elle serait propre à aider dans leur tâche ceux qui n’auraient plus à apprendre leur langue, et qui se donneraient précisément pour tâche de rechercher les analogies des divers idiomes; mais elle serait très mauvaise comme moyen pratique d’enseignement, comme manière de classer les formes d’une langue donnée pour la plus grande commodité de ceux qui ont à l’apprendre. Qu’est-ce à dire ? Que les grammaires pratiques ont bien d’autres conditions à remplir que de se conformer aux principes abstraits de la spéculation, et que la logique se méprend du tout au tout quand elle s’imagine que les grammaires pu les institutions philosophiques sont précisément les moyens dont les hommes ont besoin pour répondre aux nécessités de leur vie. La spéculation a ses exigences, la pratique a les siennes, et le rationalisme, qui ne s’inquiète que des premières, est simplement l’art d’être exclusif et aveugle, l’art de résoudre toutes les questions sans tenir compte de leurs données réelles. Avec cette facile manière de raisonner, on arrive, comme M. Kraitsir, à mépriser profondément les vieilleries empiriques du passé, parce qu’on ne sait pas voir leurs raisons d’être et leurs utilités. Au nom de la raison abstraite, c’est le règne même de l’expérience que l’on tend à anéantir; et tandis qu’on croit continuer Bacon, tandis qu’on se permet d’insulter ceux qui mettaient le dixit d’un maître au-dessus de l’évidence des faits, on s’enfonce soi-même dans une nouvelle scholastique; car c’est aussi une crédulité d’aveugle que de mettre au-dessus de l’expérience les notions abstraites de l’esprit, et de croire quand même aux conséquences, et rien qu’aux conséquences, que le raisonnement en peut tirer. La vraie méthode positive est tout autre : elle consiste au contraire à croire, même en dépit de la raison, que les vieilles institutions et les vieilles grammaires n’ont pu naître sans causes; elle consiste à savoir que ces méthodes se sont produites, parce qu’il existait des tendances et des exigences de nature à produire des résultats de ce genre; elle consiste enfin à partir respectueusement des choses établies pour juger, d’après elles, des conditions que doivent remplir les choses à établir.


J. MILSAND.




On nous accuse quelquefois d’avoir peu de sympathie pour les jeunes poètes, et tout récemment on nous écrivait les lignes suivantes : « Vous avez été dur pour moi, monsieur, très dur; vous m’avez repoussé en me confondant avec bien d’autres; mais je suis constant, mais je ne me rebute pas aisément quand j’ai un but, et j’ai un but : c’est que mon nom soit un jour ou l’autre au bas des pages de la Revue des Deux Mondes, précisément parce que vous êtes rigoureux, et que votre rigueur s’adresse à la médiocrité. Moi