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francs scélérats qui dans leurs discours affectaient, professaient, outraient, s’il est possible, leur propre scélératesse; ce sont ces hommes qui n’ont pas même osé fuir les bancs d’où leurs collègues venaient d’être arrachés, qui tous les matins sont venus s’y rasseoir, comme des automates, assidus, silencieux, se levant, s’asseyant dix fois, vingt fois par jour pour convertir en lois le vol ou l’assassinat : misérable métier qu’ils acceptaient pour vivre, uniquement pour vivre, comme l’un d’entre eux l’a depuis confessé!

À ce spectacle monotone et lugubre s’entre-mêlaient parfois des coups de théâtre imprévus. Le public étonné voyait passer sur la charrette les proscripteurs en guise de proscrits, et bien qu’après chacune de ces crises la persécution redoublât et le sang coulât à plus grands flots, il accueillait avec une joie secrète ces commencemens de réparation et de justice; sa patience s’en ranimait; il en concluait que ses maux pouvaient enfin avoir un terme. Deux châtimens de ce genre occupent une place principale dans l’histoire de la terreur et sont comme le prélude d’un châtiment plus solennel, du 9 thermidor. A quinze jours d’intervalle, les hébertistes d’un côté, les dantonistes de l’autre, sont frappés par le comité, c’est-à-dire par les trois hommes qui le dominent, Robespierre, Saint-Just et Couthon. Ces deux coups d’état sont des 31 mai en miniature, de même que le 31 mai lui-même n’est qu’un diminutif du 10 août. Les procédés se simplifient avec l’expérience : on ne convoque plus la canaille, on n’arme plus les sections; point de canon, point de tocsin; on fait tout simplement arrêter dans leur lit les hommes dont on veut se défaire, et Paris à son réveil apprend que le père Duchêne et ses ignobles compagnons, ces extravagans démoniaques, vont passer par la guillotine, que la commune est renversée, cette commune par qui fut fait le 31 mai, par qui sont au pouvoir ceux qui la déciment aujourd’hui. Le comité la détruit pour n’être pas détruit par elle, et Paris d’applaudir : il n’en est pas plus libre, mais c’est toujours des oppresseurs, des aboyeurs de moins!

Puis quinze jours après, le 2 avril, c’est le tour de Danton. Il est accusé, qui l’eût cru? de modération, de clémence. Il a pris en dégoût les massacres depuis qu’il ne les commande plus. Il s’est aperçu, un peu tard, qu’on ne fondait rien dans le sang; il voudrait modérer, régulariser le torrent que sa violence a déchaîné ; en un mot, il se fait girondin. Il rêve, il poursuit des chimères, comme ces beaux parleurs dont naguère il se moquait. Comme eux, au lieu d’agir, il délibère, il tâtonne : plus d’audace, plus de Danton. Une fois dans le cachot d’Hébert, il ne pèse pas plus que lui; sa mort étonne un peu plus, réjouit un peu moins, mais n’émeut pas davantage.

Après ce double coup, la table est rase à gauche aussi bien qu’à