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conduire la France en si peu de temps. Ramené par les événemens à la science, g se croyait déchu peut-être, et il ne faisait que reprendre sa vraie place, qu’il n’aurait pas dû quitter. C’est là, à vrai dire, un penchant de notre siècle : on croit volontiers que l’intelligence, que la science même donne une aptitude universelle. Qu’arrive-t-il alors ? C’est qu’il suffit d’avoir marqué par l’intelligence dans un genre quelconque, et même, hélas! d’avoir eu seulement quelquefois l’intention de marquer, pour se croire des titres particuliers à être ministre, ambassadeur, tout au moins préfet. Combien en avons-nous vu en 1848 de ces préfets, de ces ambassadeurs, de ces ministres! Malheureusement dans ces curées périodiques, où chacun prétend naturellement avoir le plus d’intelligence et par conséquent le plus de titres, il y a toujours quelque chose qui souffre : c’est l’intérêt du pays, c’est la tradition de sa politique. Les hommes passent en quelque sorte dans les affaires sans les connaître, ne sachant pas celles qu’il faut éviter, celles qu’il faut soutenir, et un beau matin nous nous réveillons en face de quelqu’une de ces grandes questions qui font leur chemin au profit des autres, à travers nos révolutions stériles et nos abatis de gouvernemens d’un jour.

S’il est un spectacle curieux et instructif, c’est celui des peuples contemporains au milieu de ces révolutions qui viennent périodiquement les transformer, ou plutôt les bouleverser. Quel caractère apportent-ils donc dans ces mêlées orageuses ? Quelles tendances s’y dévoilent ? quelles influences s’y manifestent et s’entrechoquent ? C’est toujours le plus abondant sujet d’observations, et si dans ces mouvemens l’intelligence a souvent une grande place par ses excès et ses violences, c’est à l’intelligence droite et saine de porter la lumière dans cette confusion, d’en dégager l’idée juste et féconde du progrès véritable, de quelque pays qu’il s’agisse d’ailleurs. C’est ce que M. Saint-René Taillandier vient de faire pour les contrées d’outre-Rhin dans ses Études sur la Révolution en Allemagne. M. Taillandier avait d’autant plus de titres pour entreprendre une telle œuvre, qu’il nourrit la plus vive prédilection pour l’Allemagne. Il l’aime comme un esprit sérieux, sans illusion ni faiblesse; il la connaît, il a suivi longtemps son histoire, et toutes ses études, ses esquisses fidèles et justes, forment aujourd’hui le tableau le plus attachant et le plus vrai des révolutions morales, intellectuelles, politiques, par lesquelles est passée de notre temps la civilisation germanique.

Il faut bien le dire, ce n’était pas toujours une tâche facile de représenter avec vérité tout ce mouvement multiple et confus. On a vu ce qu’a été un moment l’Allemagne dans ces dernières années, avec ses émeutes, ses insurrections, ses tentatives de transformation, ses parlemens. M. Taillandier retrace une portion de cette histoire, presque actuelle, dans les chapitres qu’il consacre au parlement de Francfort, ce sénat solennel qui s’était institué pour créer l’unité de l’Allemagne, et qui est mort dans la plus glorieuse impuissance; mais on ne comprendrait rien à ces événemens de 1848 et 1849, si on ne recherchait comment ils se préparent dans l’histoire de l’Allemagne depuis 1815. Avant l’explosion politique, il y a eu l’explosion philosophique, il y a eu tout ce travail intellectuel si confus et étrange, qui est passé par toutes les phases pour ab0utir en certains momens à l’athéisme le plus sordide. Or c’est là véritablement le sujet du livre de M. Taillandier. Son héros, c’est