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dans les provinces moldo-valaques ne paraissent pas avoir dépassé jusqu’ici soixante mille hommes, et encore ces forces sont-elles chaque jour décimées par les maladies de tout genre; mais elles peuvent s’accroître, et dans tous les cas cela a suffi jusqu’à ce moment pour l’attitude défensive que se donnait la politique russe. L’empereur Nicolas sent Lieu que s’il lui a été facile d’envahir les principautés et de pousser jusqu’au Danube, il ne serait point aisé à l’armée ottomane de franchir ce fleuve pour l’aller combattre sur le terrain où il s’est placé. Chose étrange et bizarre interversion des rôles! c’est la Russie qui, envahissant le sol turc, a la prétention de ne point se départir d’une attitude de défense, et c’est la Turquie, réduite à revendiquer son territoire, qui a les apparences de l’offensive ! La Turquie en effet, — et c’est là l’acte le plus récent, — vient définitivement de sommer la Russie d’évacuer les principautés. Le délai importe peu : que ce soit dans quatre semaines ou dans quinze jours, le fait n’en est pas moins le même. Cette résolution suprême a été le résultat d’une délibération solennelle d’un grand conseil national convoqué à Constantinople dans les derniers jours de septembre, — délibération où il n’y a eu, dit-on, que trois voix pour la paix, et qui a été sanctionnée par le sultan. Ce n’est point Reschid-Pacha, comme on l’a dit, mais bien son fils, qui est chargé de porter cette sommation au prince Gortschakof, commandant actuel de l’armée russe du Danube. On peut d’avance imaginer comment elle sera reçue. A cela d’ailleurs vient se joindre, assure-t-on, une nouvelle levée de cent cinquante mille hommes ordonnée par le sultan à l’appui de sa déclaration. Enfin, en même temps que ces faits s’accomplissaient, les flottes de France et d’Angleterre ont quitté de leur côté le mouillage de Besika et sont entrées décidément dans les Dardanelles. Ainsi toutes les chances sembleraient pour la guerre. Le sultan s’est vu contraint de céder aux passions qui l’environnent et un peu aussi à la force des choses. Les contingens turcs placés sous les ordres d’Omer-Pacha ont désormais un rôle plus décisif et une action toute tracée vis-à-vis des soldats russes. Seulement entre les deux armées il y a le Danube, qui n’est point facile à franchir; il y a aussi l’hiver qui est là, et qui n’est point une saison très propice à des opérations militaires, surtout dans de tels pays, et par-dessus tout il reste en Europe le désir de la paix luttant obstinément encore avec la fatalité d’une situation extrême, de telle sorte que, malgré sa gravité apparente, la résolution du sultan pourrait bien n’avoir point avancé considérablement la question. En réalité, elle ne fait que donner un nom à un état de choses existant déjà, comme nous le disions, et ce nom, c’est l’état de guerre. Les armées campées sur les deux rives du Danube sont dès ce moment des armées ennemies; il peut pourtant se passer quelques mois encore avant que l’une ou l’autre soit en mesure de tenter quelque entreprise décisive.

Ceci, comme on voit, joint à un besoin universel, laisse une assez grande place à des négociations nouvelles. Sans doute la guerre est possible, elle existe même en droit, et il est des momens où le mieux qu’on puisse espérer, c’est de la circonscrire en Orient; mais la paix aussi est possible, et c’est là toujours que peut s’exercer avec fruit l’action de l’Europe. Nous ne nous dissimulons rien cependant : pour que cette action fût efficace, il faudrait qu’on pût s’entendre; il faudrait se ranger à une politique commune, là où