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mais leur cause n’intéressait plus personne. Les mécontens de tous les partis qui les soutenaient la veille, lorsque le pouvoir était nominalement à eux, n’avaient aucune envie de se faire tuer pour le leur rendre. Autre chose est aider de ses vœux et même de ses efforts un gouvernement qu’on n’aime pas, afin d’en éviter un pire; autre chose en renverser un, si mauvais qu’il soit, sans savoir à qui profitera sa chute. On se contente d’un pis-aller quand on le tient, on ne se bat pas pour le conquérir. M. de Barante demande avec raison à qui pouvaient s’adresser les girondins proscrits? Aux amis de la monarchie? Ils se vantaient de l’avoir renversée. Aux parens des émigrés? Il n’était pas une loi de spoliation ou de sang qu’ils n’eussent proposée ou votée. Aux familles religieuses? Ils tenaient à honneur d’avoir persécuté les prêtres. Ils n’avaient de soutiens naturels que les républicains modérés, parti peu nombreux même alors, habile à faire les affaires de la démagogie, incapable de jamais sauver ni sa cause ni ses amis. La révolte des girondins était donc chimérique. C’était encore de la déclamation. Au bout de quelques semaines, il ne resta plus vestige de leur échauffourée. Lyon lui-même, qui seul avait vaillamment résisté, succomba dans sa lutte héroïque, et la montagne n’eut plus en face d’elle à l’intérieur d’autres ennemis que les paysans vendéens. Ceux-là étaient redoutables, parce qu’ils étaient des cœurs simples, obéissant à leurs croyances, et non des rhéteurs fourvoyés luttant pour leur ambition; mais ces derniers champions de la foi croyaient à l’impossible, à la résurrection pure et simple de l’ancien régime, sans mélange ni transaction. De là leur enthousiasme et leurs victoires; de là aussi leurs inévitables revers. Les Vendéens succombèrent comme avaient succombé les Lyonnais; en moins de six mois, ils cessaient d’être redoutables aux vainqueurs du 31 mai.

Ces luttes locales, partielles, isolées, sans unité d’opinion ni de drapeau, et par conséquent impuissantes, avaient pourtant un résultat. Pour la première fois depuis quatre ans, la France venait de se débattre contre l’insurrection. Jusque-là l’insurrection avait été acceptée comme un juge souverain et sans appel, donnant à qui bon lui semblait le pouvoir. Roi, assemblée, magistrats, fonctionnaires, corps publics, simples citoyens, tout le monde s’était incliné devant la toute-puissance de l’insurrection. Pour la première fois, on venait de contester ses arrêts, audacieuse nouveauté que les vainqueurs ne pouvaient souffrir. Ils allaient essayer d’étouffer dans son germe cet esprit d’affranchissement; ils allaient se fortifier dans la France vaincue et soumise comme dans une citadelle imprenable, au moyen d’un régime d’oppression et d’extermination systématique qu’aucun peuple civilisé n’avait encore subi. L’histoire conservait le souvenir des gouvernemens violens et sanguinaires qui avaient pratiqué la terreur;