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division a néanmoins gagné du terrain entre les deux communions depuis quelques années ; mais il n’enveloppe pas la vie de manière à devenir, comme à Nîmes, le trait le plus saillant des mœurs locales.

Parmi les travailleurs des fabriques disséminées çà et là dans le groupe des monts de l’Hérault et des Montagnes-Noires, les mœurs se rapprochent généralement des tendances qui prévalent dans l’une ou l’autre des trois cités industrielles les plus importantes. Ces analogies morales laissent percer toutefois de temps en temps des singularités dont il n’est pas toujours facile de se rendre compte. Ainsi, dans la ville de Clermont-l’Hérault, si voisine de Lodève, le sens religieux, au lieu d’être également vif et passionné, demeure assez profondément engourdi. De plus, comme les patrons ne sont pas des millionnaires, comme la fabrique de Clermont ne compte, à part trois ou quatre exceptions, que des maisons peu importantes, les ouvriers se mêlent souvent à leurs chefs dans la vie quotidienne. Il n’est pas rare de trouver le dimanche dans un café, assis à une même table de jeu, celui qui donne et celui qui reçoit le salaire. Si désirable que soit le rapprochement entre le patron et l’ouvrier, c’est ailleurs qu’on aimerait à le voir s’effectuer. Il est choquant que le premier coure la chance de regagner d’un coup de dé le maigre salaire payé la veille à ceux qu’il emploie.

À Villeneuvette, où la communauté ne renferme qu’un seul fabricant, propriétaire de la commune entière, je n’ai pas besoin de dire que de semblables familiarités ne sauraient se produire. Le lien de la subordination y est très solide, quoique en dehors de l’atelier il n’entrave point la liberté de l’individu. Sauf l’obligation de rentrer le soir à une heure fixe, ainsi que dans une place de guerre, chacun vit comme il l’entend et agit comme il le veut. On s’en repose sur certaines conventions entrées dans les mœurs pour garantir la régularité générale. Le jeu et l’ivrognerie ne viennent jamais porter atteinte à l’aisance des familles ; il n’y a dans la commune qu’un seul café et un seul cabaret, qui ferment régulièrement leurs portes à neuf heures du soir. Dans un espace de trente années, on n’a vu qu’une seule naissance naturelle qui n’ait pas été suivie de légitimation ; la communauté repousse l’individu qui ne réparerait pas sa faute par un prompt mariage. On a été plus loin : on a essayé de prévenir l’accroissement de la population au-delà des ressources locales et de résoudre ainsi la délicate question posée par Malthus. On s’était contenté d’abord de décider que la fabrique ne garderait pas ceux des ouvriers qui voudraient se marier avant un âge fixé. Qu’arrivait-il cependant ? L’espérance de voir autoriser une union hâtive, quand il y avait un enfant à légitimer, aplanissait la voie qui conduisait au mal. On a donc pris le parti de renvoyer de la commune