Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réunit surtout pour fêter le patron de la confrérie et pour paraître en corps dans les grandes solennités du culte. La société crée en outre entre ses membres une sorte de parenté morale dont le domaine n’est pas très vaste dans la vie pratique, mais qui s’étend au-delà du tombeau. On assiste aux funérailles des membres décédés, et on fait célébrer pour les morts, à certaines époques de l’année, des prières publiques. Qu’il y ait de la rivalité entre ces deux confréries existant côte à côte et ayant un même objet, il ne saurait guère en être autrement ; mais cette rivalité ne sort pas du cercle religieux : chacune des corporations s’efforce de l’emporter sur l’autre par la richesse de ses emblèmes ; voilà le champ de leur éternel combat. Elles possèdent toutes les deux une croix qui fait leur gloire et qui n’a pas coûté moins de 8,000 francs. Cet éclat qui charme les yeux, des places d’honneur dans les cérémonies publiques qui flattent l’amour-propre des affiliés, contribuent puissamment à rallier les ouvriers autour de ces institutions.-

La vénération tout à fait extraordinaire des classes populaires pour saint Fulcran remue les âmes plus profondément encore. De nombreuses légendes poétisées par l’imagination méridionale forment l’obscure histoire de cet évêque qui vivait au Xe siècle[1]. On garde pieusement la mémoire des prodiges qu’il a opérés durant sa vie, de son inépuisable charité pour les pauvres, de son zèle et de son courage à défendre les faibles et les opprimés contre les passions des puissans et des forts. Ce saint est représenté comme le patron, le soutien, le frère des malheureux. C’est à lui que s’adressent avec une confiance absolue, dans les calamités publiques comme dans les chagrins privés, les supplications des familles. On a composé en son honneur des litanies, des hymnes et des cantiques ; on dit dans un de ces chants :

Saint Fulcran est notre frère
Et notre concitoyen
Il partage nos alarmes.
Attentif à nos besoins
L’indigent, sous ses auspices,
Voit finir tous ses soupirs

Combien ces mots sont propres à émouvoir ceux qui ont connu la misère ! Aussi, quand arrive la fête de saint Fulcran, toute la population laborieuse est en émoi. Les ouvriers se chargent eux-mêmes des préparatifs, et ils s’en occupent avec une indicible ardeur,

  1. Vers le commencement du XIe siècle, la vie de saint Fulcran a été écrite à la fois en vers latins et en prose par un abbé du diocèse de Viviers. Un des successeurs de cet évêque sur le siège épiscopal de Lodève a refait cette histoire trois cents ans plus tard. Enfin un autre évêque de la même ville a composé, il y a un siècle, un abrégé des deux anciennes compilations, en recueillant avec soin et en racontant, dans un style simple et familier, tous les faits propres à saisir l’esprit des masses.