Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Montagnes-Noires est du reste de porter leurs marchandises ou d’envoyer au moins des représentans pour faire des offres à toutes les grandes foires de nos départemens méridionaux. Ces habitudes commerciales, qui intéressent de si près les destinées du travail, tiennent à la fois au désir systématique des fabricans de se mettre en rapport direct avec les marchands en détail et à l’éloignement des voies habituelles suivies par le commerce. Pour réaliser le plus possible les conditions du bon marché, on s’applique à éviter l’emploi des intermédiaires ; après avoir pris les matières premières à leur source, on porte soi-même les produits le plus près possible du onsommateur.

Telles sont les singularités que présente la grande industrie des draps sous la main des travailleurs de Mazamet, de Bédarieux et de Lodève. La dernière de ces villes ne connaît guère que le drap de troupe. Bédarieux associe la fabrication des tissus unis pour l’exportation à celle des étoffes de nouveautés. À Mazamet, le tisserand s’attaque à peu près à tous les genres de lainages, et ne travaille que pour le marché intérieur[1]. En dehors de ces trois cités et dans leur orbite, la même industrie apparaît encore sur divers points avec quelques caractères dignes d’être signalés.

Dans le voisinage de Lodève, par exemple à Villeneuvette, où la fabrication des draps pour l’armée fait vivre toute la population, composée de 400 personnes, le régime industriel se distingue très profondément de l’ordre établi dans les autres localités. La commune de Villeneuvette est tout entière dans la fabrique : église, mairie, maison du patron et maisons des ouvriers sont renfermées entre les mêmes murailles et appartiennent à un seul propriétaire. La place est entourée de murailles crénelées avec des redoutes de distance en distance ; on y sonne la retraite et on y bat la diane comme dans une ville de guerre ; une fois le pont levé et la poterne close, on ne saurait plus y rentrer. Située au milieu d’un vallon planté de vignes, d’arbousiers et de grenadiers, entourée de coteaux couverts de pins, cette fabrique a été créée en 1660 ; elle reçut à son origine les encouragemens de Colbert et une subvention votée par l’ancienne province du Languedoc. Jusqu’en 1789, on n’y travaillait que pour le commerce du Levant et des Indes[2] ; ce ne fut qu’après la révolution que la fabrication militaire remplaça la fabrication commerciale. Au-dessus de la principale des portes d’entrée, on lisait jusqu’en 1848, en vieux caractères dorés, ces mots, qui renouaient la chaîne des temps : Manufacture royale. Après la révolution de février, on y a substitué ceux-ci : Honneur au travail. Si l’inscription nouvelle rompt avec la

  1. À Bédarieux et à Mazamet, on fabrique aussi des draps de troupe, mais en une quantité relativement imperceptible.
  2. Colbert donnait à la compagnie qui avait fondé Villeneuvette une prime de 10 livres par chaque pièce de drap exportée.