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cultivées jusqu’à leur sommet, et on pénètre dans la cité entre deux rideaux de verdure.

La ville est bâtie au sein d’un étroit vallon que traversent les deux petites rivières de la Lergue et de Soulondres. Autour du vallon se dresse un gigantesque amphithéâtre couvert de vignes, d’amandiers et de figuiers. Les maisons, qui auraient pu s’étendre sur un plus long espace en remontant la vallée, se sont serrées les unes contre les autres, de telle sorte que, sous un ciel pur et avec un climat très agréable, Lodève offre un assemblage de ruelles étroites, humides, sombres, où l’air se renouvelle avec peine, où la population semble s’être privée à plaisir de tous les charmes de la nature environnante.

Le développement de la fabrique lodévienne, — dont la première origine remonte à une époque éloignée, — est postérieur à l’introduction des métiers mécaniques dans les filatures, commencée en 1809. Aujourd’hui on compte dans la ville une quinzaine de grands établissemens, qui, à l’exception d’un seul muni d’une machine à vapeur, n’emploient que l’eau des torrens pour force motrice. Le tissage mécanique commence à y pénétrer. Sur une population de 11,000 habitans, la ville compte à peu près 4,000 ouvriers répartis dans des ateliers qui renferment jusqu’à 400 et 450 individus[1]. Lodève circonscrit presque entièrement ses entreprises dans le cercle de la draperie militaire. Les capitaux, loin de manquer sur cette place, y excèdent les besoins, et ils appartiennent à ceux mêmes qui les font valoir. Pas une seule des maisons de Lodève ne serait embarrassée pour mettre 1 million de francs dans ses affaires, et quelques-unes peuvent disposer de moyens plus étendus ; aussi les achats de matières premières se traitent-ils au comptant. Toujours créancière du gouvernement pour des sommes plus ou moins fortes, la fabrique ne doit jamais rien à personne, et les laines existent en magasin par quantités considérables.

Les fortunes manufacturières de Lodève, trop souvent regardées du dehors avec des yeux d’envie, ne sont pas des fortunes gagnées rapidement dans quelques fournitures urgentes ; elles sont le fruit d’un âpre et long travail. Il se trouve sans doute en France d’autres districts manufacturiers où l’on a de même beaucoup travaillé sans avoir pu s’enrichir également ; mais Lodève a eu les avantages de sa spécialité. La fabrique lodévienne a fait quelquefois de longs crédits, elle a répondu hardiment aux demandes qui lui étaient adressées dans des momens difficiles ; puis elle a touché le prix de ses avances sans jamais avoir rien perdu.

  1. La durée du travail effectif varie suivant les saisons, mais sans dépasser le terme légal de douze heures ; le salaire, généralement payé à la tâche, est pour les hommes de 1 fr. 25 cent, à 2 fr. 50 cent, et pour les femmes de 60 cent. à 1 fr. par jour.