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toutes les alternatives de la pitié et de la terreur, elle a parcouru le cercle des épreuves et des périls, flottant entre les menaces d’invasions barbares et les répressions gigantesques. Qu’y a-t-il d’étrange et d’instructif dans ce spectacle ? Ce n’est point tel ou tel incident de guerre civile, telle ou telle violence isolée commise dans le désordre d’une révolution; ce qu’il y a de nouveau, ce n’est point l’ardeur des passions et des convoitises. Tout cela a pu se voir; il y a assurément des époques qui ont égalé la nôtre, des catastrophes comparables à celles dont nous avons été les témoins. Il n’est point nécessaire de se créer une sorte de vanité singulière du malheur. Les systèmes révolutionnaires eux-mêmes dans leur essence ne sont point neufs ; ils ont été l’aliment des intelligences malades de tous les temps. Ce qu’il y a de plus nouveau, c’est cet ensemble de destruction préméditée et systématique pratiquée à l’égard d’une société tout entière; c’est le vice et le crime souvent érigés en théories et justifiés par les considérations supérieures du progrès de la civilisation. Voilà ce qui est assez nouveau, et c’est ce qui donne un intérêt plus rare et plus actuel aux œuvres comme celles de Balmès, qui ravivent les notions justes et saines, qui opposent aux théories destructives la théorie des éternelles vérités, à l’abri desquelles le monde a vécu. Ces fortes et généreuses reconstructions ne suppriment point le mal sans doute; elles n’empêchent point le crime et le vice d’exister : elles les contraignent à garder leur véritable nom et les empêchent de s’appeler la civilisation et le progrès; elles retracent la limite entre le bien et le mal à mesure qu’on s’efforce de l’effacer. Une autre lumière peut être facilement dégagée des œuvres de Balmès. Aussitôt qu’il est question de l’influence du principe religieux, il est des esprits très perspicaces qui aperçoivent tout de suite l’inquisition avec tout ce qui l’accompagne. Non, il ne s’agit point ici d’inquisition; seulement cette liberté de la pensée et de la conscience désormais acquise n’est point sans condition. Les peuples et les hommes sont bien libres de penser et d’agir comme ils voudront, mais il faut qu’ils sachent qu’ils ne sont pas libres de tout faire, ni même de tout penser impunément; il faut qu’ils sachent que toutes les fois qu’ils enfreindront les lois morales ils en porteront la peine, que toutes les fois qu’ils se laisseront précipiter dans les révolutions anarchiques et athées, ils se réveilleront sous le joug de la force et se heurteront au despotisme. En un mot, à côté de la liberté elle-même, c’est l’idée de la responsabilité manifestée sous toutes les formes, surtout sous la forme du châtiment, et résumée tout entière dans le mot du docteur espagnol : « Méditez et choisissez ! »


CHARLES DE MAZADE.