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entre deux polémiques, ravi au spectacle des montagnes catalanes, du Monseny et du Tangamanent, proposait à un de ses amis, un chanoine de Vich, d’aller faire une retraite sur ces cimes mystérieuses, pour y méditer à l’aise, loin des bruits du monde, sur Dieu, sur l’âme humaine, sur la destinée morale des peuples, sur les sciences philosophiques. Le sens réel, l’élan mystique, ces deux traits presque opposés de la nature espagnole, se retrouvaient en lui, mais pour se fondre dans une originalité nouvelle.

Balmès était un penseur, disons-nous, et c’était aussi, — c’était surtout peut-être un moraliste. Dans la politique même, il a ce caractère : ce qu’il étudie, c’est l’homme bien plutôt que le mouvement abstrait des idées et des principes pour lesquels les intelligences s’enflamment en se trompant elles-mêmes parfois. Les constitutions, soit ! dit le publiciste catalan, et il semble ajouter aussitôt : Quel est l’homme qui se ment et qui vit sous ces constitutions ? Dans le Protestantisme encore, ce qu’il recherche le plus souvent, c’est le rapport des doctrines religieuses avec la nature humaine, avec ses inclinations et ses besoins. Mais le fruit le plus rare, le plus achevé peut-être de ce talent de moraliste, c’est le Criterio, — œuvre d’une analyse fine et juste que nous oserions signaler comme pouvant entrer dans l’enseignement. Le Criterio est un de ces livres que les enfans comprennent et où les esprits élevés se plaisent. Ce titre de Criterio est devenu en français l’Art d’arriver au vrai. Art de juger, art du bon sens, art d’arriver au vrai, — ces traductions diverses qu’un des commentateurs les plus zélés de Balmès essaie, — ne sont point infidèles. Seulement, ni le titre original, ni le titre traduit ne donnent l’idée de cette étude ingénieuse et délicate, de ce traité de l’entendement pratique. Nulle part peut-être ne se fait mieux sentir ce qu’il y a de saveur, d’observation réelle et de bon sens dans le génie espagnol, quand il s’en mêle. Comment l’homme peut-il se retrouver au milieu de toutes les influences conjurées pour obscurcir la vérité à ses yeux ? quelle place ont les passions dans ses jugemens ? quelles causes secrètes et de tous les instans mettent sans cesse à l’épreuve la fragilité de ses opinions et de ses impressions ? Tel est le sujet du Criterio. Il y a des portraits dignes de La Bruyère, comme ceux de la vanité, de l’orgueil, des esprits faux, de l’homme ruiné, de l’homme d’esprit insolvable, du rustre opulent ; parfois aussi l’observation revêt la forme d’un récit, d’une petite action, comme dans un seul Jour de la vie.

Voyez cet homme, il s’est levé heureux et content. C’était une belle matinée d’avril, l’air était pur, le ciel nuancé des plus vives couleurs ; tout parlait d’une Providence bienfaisante ; il est riche, ses serviteurs et ses amis l’entourent. Son regard tombe sur le livre de quelque