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mais d’un christianisme effectif, pratique et efficace. « Si vous prétendez, poursuit l’auteur du Protestantisme, bâtir sur un autre fondement, gardez-vous d’une flatteuse espérance : votre édifice sera la maison construite sur le sable. Les pluies sont venues, le vent a soufflé, l’édifice s’est renversé avec fracas sur le sol. »

Ainsi parlait cet éloquent esprit bien avant les dernières catastrophes, dès 1842. Il marchait dans ces prévisions avec une sûreté que le monde a trop justifiée, et c’est ce qui fait de son livre autre chose qu’une œuvre ordinaire de controverse religieuse. Ce qui pêche dans le Protestantisme, c’est l’exécution. Balmès avait eu trop de rencontres avec cette ennemie qu’on ajustement à son sujet appelée l’exterterminatrice des styles, — la polémique. La prolixité est le piège de son talent; c’est le défaut d’une œuvre dont il serait facile et utile de condenser les pages. Ce qui frappe à travers cette prolixité elle-même, c’est le mouvement de la pensée, la fécondité des développemens, la multitude des aperçus. Balmès est de cette famille d’écrivains qu’on a nommés de nos jours des penseurs. Seulement il a de plus que beaucoup de penseurs contemporains, hélas ! une certitude, un point d’appui. «Je marche, disait-il, une boussole dans la main. » Que manque-t-il en effet à bien des esprits rares et généreux ? Justement cette certitude. Ils observent merveilleusement, ils promènent sur le monde moral un regard plein de sagacité, ils multiplient les conjectures ingénieuses et neuves, ils embrassent une grande variété de connaissances; mais cette activité n’est parfois que le mouvement d’une pensée qui s’enivre d’elle-même, et qui porte dans l’étude des choses intellectuelles une sorte de dilettantisme ardent et passionné. On pense pour penser, si l’on nous permet ce terme : c’est l’art pour l’art dans une autre sphère. Avec une foi sûre, avec un point de départ et un but précis, Balmès avait cette même ardeur de pensée, cette même fécondité de vues et d’observation. On sent en lui une intelligence pleine et abondante, où la vie afflue, alimentée par la croyance, et nul ne justifiait mieux cette parole qu’il laissait tomber dans l’intimité : « Un écrivain ne doit épancher, en laissant couler sa plume, que ce qui déborde du vase rempli jusqu’aux bords. » Il y avait dans cette nature des nuances singulières qui font son originalité; il y avait l’esprit qui suivait, analysait avec une pénétration pratique des plus rares les faits, les crises politiques qui se déroulaient autour de lui, et il y avait l’homme de méditation intérieure, d’oraison, qui s’échappait parfois en développemens pleins d’un sentiment profond sur la vertu du mystère, sur la puissance de l’unité, comme dans les Lettres à un Sceptique ou dans un fragment de ses écrits politiques, — Consideraciones filosofico-politicas. Il y avait enfin l’homme qui, en venant de discuter le mariage de la reine,