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question posée ; il en change les termes et la replace sur un terrain moins abstrait et plus réel. Il y a dans les sociétés européennes bien des élémens divers : il y a l’individu avec ses facultés qui se développent, avec son état qui s’élève graduellement ; il y a la famille avec ses caractères nouveaux ; il y a la société morale et politique avec ses conditions et ses lois ; il y a une conscience publique qui se forme ; il y a les rapports entre les hommes qui changent ; il y a des institutions qui s’élaborent. Tout marche : quel est l’instrument puissant de ce mouvement ? Jusqu’au XIIIe siècle, le doute est impossible, c’est le catholicisme : la réforme n’est venue que lorsque les sociétés européennes étaient déjà toutes formées ; mais même encore à cette époque, sur ces élémens divers, — l’individu, la famille, l’état social, les institutions politiques, — quelle est l’action du catholicisme ? quelle est l’action du protestantisme ? Quelles sont les tendances, quels sont les résultats des deux croyances ? Quelles solutions offrent-elles des grands problèmes de la destinée humaine ? — Ainsi le monde ancien avec son esprit, ses conditions sociales et sa décrépitude, — le monde nouveau naissant des ruines, le christianisme régénérant les âmes, disciplinant l’énergie barbare, animant de son souffle les institutions, conduisant comme par la main les peuples vers la virilité et la grandeur ; — la civilisation scindée à un moment donné, ce déchirement moral contribuant à l’affaiblissement des croyances et frayant la route au despotisme moderne, tout-puissant au sein de sociétés énervées par le scepticisme et pulvérisées par les démocraties athées, — c’est là le drame que Balmès déroule d’une main vigoureuse. Tel est le spectacle qu’il offre aux méditations de quiconque sent palpiter en lui l’instinct des grandeurs de la civilisation et de ses douloureuses épreuves.

Aussitôt qu’on entre dans cet ordre de considérations, surtout dans un temps comme le nôtre, en présence de certaines sociétés défaillantes et d’autres sociétés qui semblent conserver leur consistance et leur vigueur, il est un fait qui s’élève devant l’esprit. Comment des pays catholiques vont-ils sombrer dans toutes les révolutions, et comment des pays protestans ne les ont-ils traversées que pour reprendre le cours d’une destinée victorieuse ? L’Angleterre et les États-Unis ont montré ce que c’est que la liberté s’incarnant dans une race et s’alliant à l’esprit de conduite. On ne saurait méconnaître la part du protestantisme dans ce développement. Le protestantisme est-il cependant l’explication souveraine de cet éclat et de cette persévérance de fortune ? N’y a-t-il point une multitude d’autres causes tirées de l’histoire, des traditions antérieures, du caractère de la race, de la situation géographique elle-même ? Si le protestantisme est si bien la condition de la liberté politique, comment se fait-il que