commotions. C’est ce qui fait que ce livre de Balmès, écrit d’abord pour son pays dans la solitude des montagnes catalanes, mais où l’auteur embrasse déjà du regard un plus vaste horizon, devient à beaucoup d’égards l’expression d’une situation plus générale. Cette réhabilitation des notions chrétiennes a pour elle toute la faveur des circonstances qu’avait le Génie du christianisme au commencement de ce siècle. Seulement nous oserons dire, et on va bien le voir, que l’œuvre espagnole est d’un ordre bien autrement profond, bien autrement saisissant que l’œuvre française. Là où Chateaubriand ramenait à l’idéal religieux par l’imagination, en rallumant dans les âmes lassées et déçues le sentiment des poésies de la foi, en décrivant les merveilles des fêtes chrétiennes et en montrant ce qu’il y avait de ressources pour l’art, pour le génie littéraire, dans le christianisme, Balmès, moins grand écrivain assurément, va droit, pour ainsi parler, au nœud des problèmes de la civilisation : il recompose une philosophie de l’histoire qui n’a rien d’abstrait ni de superficiel, qui s’appuie au contraire sur les réalités les plus profondes, et qui vient projeter une lumière étrange sur les maladies et les crises des sociétés modernes.
Quel est donc ce livre du Protestantisme ? quel est le mouvement d’idées qu’il exprime ? La science a de nos jours, on le sait, mis en honneur un système qui va rechercher de siècle en siècle, dans le cours de l’histoire, toutes les protestations individuelles élevées au nom de la raison humaine, et qui fait de ces protestations partielles, successives, grandissantes, comme les anneaux divers de cette chaîne d’or de la civilisation. La réforme au XVIe siècle apparaît comme le couronnement de cette tradition d’indépendance, comme l’ère de l’émancipation définitive de l’esprit humain. Affranchissemens, protestations ou révoltes, c’est là le travail d’enfantement du monde moderne, si bien que chaque progrès prend le caractère d’une victoire sur le catholicisme. On ne remarque pas que ce progrès, réel dans les sociétés et que Balmès est loin de nier, peut coïncider avec ces mouvemens et ne point s’identifier absolument avec eux, qu’il peut tenir à une infinité d’autres causes entre lesquelles la prépondérance religieuse est justement au premier rang. — Dans ce qu’il a de plus élevé, de plus modéré et de plus vrai, ce système fait le fond de l’œuvre que M. Guizot a consacrée à pénétrer les mystères de la civilisation européenne. C’est contre ces idées et ces vues que le livre de Balmès était principalement dirigé d’abord, avant de devenir lui-même une étude distincte, une analyse originale, animée et complète de la civilisation de l’Europe.
La réforme est-elle l’ère de l’émancipation définitive de la raison humaine ? En vérité, ce n’est point ainsi que Balmès laisse la