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un terrain assez large pour concilier toutes les forces conservatrices de l’Espagne. Sans lui donner expressément un nom, Balmès a été pendant quelques années le promoteur d’une sorte de torysme au-delà des Pyrénées, et cette idée n’était point aussi chimérique qu’on pourrait le croire; elle répond à un fait, elle touche à quelques-uns des incidens les plus récens de la politique espagnole.

Pour peu qu’on observe la Péninsule depuis longtemps, on peut y voir un travail sensible de décomposition et de transformation des partis politiques et des opinions dont l’attitude et les forces respectives ne sont plus déjà les mêmes. Les idées républicaines n’existent point en Espagne, ou, si elles existent, elles hantent quelques cerveaux creux occupés à dialoguer avec eux-mêmes, sans aucun écho dans la nation. Comme parti dynastique, le parti carliste est aujourd’hui dans la même décadence où a été le jacobitisme en Angleterre. La masse du parti s’est rattachée à la royauté d’Isabelle. Quelques-uns des généraux les plus engagés dans la cause du prétendant servent maintenant dans l’armée de la reine. Il y a peu d’années encore, l’un des conseillers les plus ardens de don Carlos, le père Cyrille, aujourd’hui archevêque de Burgos, prenait place au sénat. Restent les deux anciennes grandes fractions de l’opinion : le parti constitutionnel modéré et le parti progressiste, — ce parti qui, comme le disait Balmès avec une piquante ironie, a judicieusement cessé de s’appeler exalté, parce qu’il était assez bizarre de voir un législateur exalté, un homme d’état exalté, un magistrat exalté; — mais ces partis eux-mêmes tendent visiblement à se transformer pour faire place à des combinaisons, à des agrégations nouvelles, embryons de partis qui n’existent pas encore. D’un côté, c’est un certain nombre d’hommes venus de divers points, du camp modéré et du camp progressiste, et se groupant sous le drapeau libéral; de l’autre côté, un travail de la même nature tend à rapprocher et à fondre les nuances les plus intelligentes du parti monarchique pur, une portion considérable, de l’aristocratie espagnole, certaines fractions de l’ancien parti constitutionnel modéré. Ce sont là les élémens de ce que nous appelons le torysme espagnol. M. le marquis de Viluma a passé souvent pour l’un des principaux hommes d’état de ce parti, qui a été une fois déjà, en 1844, sur le point d’arriver au gouvernement, et depuis cette époque, les diverses crises qu’a traversées l’Espagne ont montré bien des esprits errant dans ces régions encore mal définies.

Balmès a été de 1840 à 1848 le publiciste de ce mouvement d’opinion, — publiciste avoué, consulté, écouté. Il avait acquis rapidement une grande influence. Pendant huit années, il a soutenu pied à pied la lutte la plus singulière, mettant sans cesse à nu les incohérences de la situation de l’Espagne, indépendant des partis et disant à tous : « Tandis que vous parlez, tandis que vous vous agitez, il y a derrière