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dans ce qu’elle avait de plus saillant et de plus impuissant politiquement. Don Carlos n’était point un cœur ambitieux ou méchant; c’était un esprit étroit, simplement et naïvement imbu de tous les fanatismes du passé. Il eût été sans effort, à une autre époque, l’instrument docile d’une théocratie dominatrice. La sincérité de ses ardeurs religieuses était son honneur. On a justement signalé plus d’une fois ce qu’il y avait de chimérique chez les révolutionnaires. Le chimérique, à coup sûr, peut revêtir plus d’une forme. Ce que don Carlos comprenait le moins, c’était son temps. Peu fait pour comprendre son siècle, il n’avait pas davantage l’intelligence de sa situation. Là où il eût fallu agir en soldat, il se retranchait dans l’étiquette du souverain, — souverain encore sans royaume. Il avait sa cour dans une petite ville des provinces basques, à Oñate, et cette cour cachait autant d’intrigues et de caprices qu’une cour plus prospère. Don Carlos a été souvent une cause d’insuccès et un embarras véritable pour ses généraux, tant qu’ils lui ont obéi. Dès que l’un d’eux s’est senti assez fort, la lutte s’est terminée.

De l’autre côté, en face de l’insurrection carliste, c’était un enfant de trois ans qui montait sur le trône. La jeune reine avait pour elle la possession du pouvoir, l’administration, l’armée, tous les élémens réguliers du pays en lui mot. Chose singulière, on pourrait supposer que don Carlos eût dû rattacher à sa cause la noblesse de l’Espagne. C’était tout le contraire. L’immense majorité de la grandesse espagnole se rangeait autour de cette jeune monarchie où elle retrouvait des perspectives d’action politique que ne pouvait lui offrir le pouvoir de don Carlos. Il en était de même de cette portion de la population qu’on pourrait appeler la bourgeoisie espagnole, la plus accessible de toutes aux idées de réforme. Tous les instincts nouveaux allaient ainsi dans un camp, comme tous les souvenirs et les intérêts du passé allaient dans l’autre; mais au fond, entre ces deux royautés en présence, où était le droit, qui, quoi qu’on en dise, est bien aussi une force ? On peut le dire aujourd’hui, sans tomber dans quelqu’une des partialités de la lutte, le droit était entièrement, absolument du côté d’Isabelle II. La jeune reine avait pour elle non-seulement le droit écrit, mais encore le droit traditionnel, national, populaire même. Une série d’actes politiques pendant sept siècles attestent le droit héréditaire des femmes au-delà des Pyrénées, et en fait le plus grand roi d’Espagne a été une femme, Isabelle la Catholique. C’est même en vertu de ce droit, et non seulement par une fantaisie ambitieuse de Louis XIV, qu’une dynastie française allait régner à Madrid au commencement du XVIIIe siècle. La loi salique peut être une fort bonne chose, mais en réalité c’est pour l’Espagne un droit étranger, introduit un moment d’une manière subreptice, et