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ensemble elles forment encore aujourd’hui un des plus lumineux commentaires où l’on puisse aller chercher le secret du passé et de l’avenir politique de l’Espagne.

Rien n’est plus difficile à juger qu’une révolution, en raison même des passions factices qui se mêlent de toutes parts aux intérêts vrais et légitimes, et des rêves d’une réalisation impossible qui viennent embarrasser les innovations justes et nécessaires. La révolution espagnole n’a point échappé à cette loi. Il est cependant une question qui ressort de partout, que les écrits de Balmès aident singulièrement à éclairer, et qui a survécu au publiciste catalan pour venir se lier encore aux plus saisissantes et aux plus énigmatiques péripéties contemporaines. Quelle est la véritable nature des événemens qui ont pris le nom de révolution en Espagne ? dans quelle mesure la tradition et l’innovation viennent-elles s’y combiner ? Et subsidiairement on pourrait se poser cette autre question plus générale, qui est celle de tous les peuples placés en face de la nécessité évidente de se transformer : — quelles sont les conditions dans lesquelles une révolution peut s’accomplir sans jeter une société hors de toutes les voies conservatrices ? Aussi bien n’est-ce point là le problème que l’Espagne, comme toutes les nations modernes, est occupée à résoudre ?

L’origine de la situation actuelle de l’Espagne ne date point sans doute seulement de 1833; elle remonte au commencement de ce siècle, plus haut même encore, à vrai dire. 1833 cependant est pour l’Espagne une date caractéristique; c’est comme un point de départ où tout recommence dans des conditions nouvelles. Or quelle était à ce moment la situation de la Péninsule ? Ferdinand VII, en descendant au tombeau, laissait l’Espagne en présence d’une guerre de succession, d’une minorité et d’une révolution imminente, — trois choses dont chacune suffirait pour mettre une nation à mal, et qui, réunies, font de son existence le miracle de l’instinct conservateur triomphant de la destruction. A l’heure où s’éteignait Ferdinand, tout était disposé pour un conflit redoutable. D’un côté, l’insurrection carliste grandissait, concentrant et groupant tous les élémens de résistance. Elle avait son appui et ses racines dans toutes les traditions, dans toutes les passions, dans tous les intérêts du passé, dans une portion considérable du clergé, — dans le clergé régulier surtout, — dans les masses populaires, accoutumées à s’ébranler au nom du roi et de la religion. L’instinct local venait se joindre à ces élémens dans les provinces basques, et mettait les armes dans les mains de cette mâle et fière population. C’est là le côté brillant et valeureux de la dernière guerre, celui qui a été mis en relief par l’héroïsme d’un homme, de Zumalacarregui. Quant au prince même en qui l’insurrection trouvait son chef, il avait tout ce qu’il fallait pour représenter sa propre cause