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de continuer, on continuait; sinon nous nous levions tranquillement et nous nous retirions... » Entre la leçon de la veille et la leçon du lendemain, il y avait ainsi un combat ou tout au moins une alarme. Ce mouvement de la guerre lui-même n’était pas sans intérêt pour le jeune professeur de Vich, qui en suivait toutes les péripéties avec une curieuse attention, une carte et les bulletins de campagne sous les yeux.

Au milieu de ces travaux et de ces diversions, il se formait donc obscurément, dans un coin de la Catalogne, une souple et mâle intelligence. Balmès avait vu de près ce spectacle d’une guerre civile qui éveille le sentiment des choses actuelles : il avait étudié l’histoire, qui donne de l’étendue à l’esprit; la philosophie, qui l’élève; les mathématiques, qui le rectifient; les législations, qui dévoilent l’organisme et le ressort des sociétés. Seulement, que ferait-il de ces connaissances ? Là était la question pour lui. Un moment, pour s’arracher à l’obscurité d’une petite ville, à sa cage de Vich, comme il l’appelait, il songea à se faire précepteur de quelque enfant de grande naissance. — Non, lui répondirent ses amis, il faut que tu sois professeur de l’université ou publiciste. — Il y avait à cette époque, dans la Catalogne, un certain mouvement intellectuel assez distinct de celui de Madrid. Barcelone comptait des recueils tels que la Religion, devenue plus tard la Civilizacion; elle comptait aussi des hommes distingués, comme M. Roca y Cornet, M. Ferrer y Subirana. C’est de ce groupe surtout que partaient pour le jeune prêtre catalan les excitations et les encouragemens sous lesquels son âme se relevait sans effort. On était en 1840. En quelques mois, Balmès se révéla publiciste dans deux essais successifs, — les Observations sociales, politiques et économiques sur les biens du clergé, et les Considérations politiques sur la situation de l’Espagne. Jusque-là, il n’avait écrit qu’un mémoire sur le Célibat ecclésiastique, qui était allé exciter quelque étonnement à Madrid, dans le monde religieux.

L’Espagne, on peut s’en souvenir, a dans son histoire peu d’époques aussi agitées et aussi décisives que cet été de 1840. La guerre civile venait de finir; mais elle laissait en suspens tous ces problèmes d’organisation sociale soulevés par la révolution, notamment ceux qui touchaient aux propriétés du clergé et aux diverses réformes religieuses. Les cortès étaient alors embarrassées dans une discussion des plus passionnées et des plus périlleuses sur cette terrible question. D’un autre côté, la lutte, plus particulièrement politique, n’avait fait que changer de face. De dynastique qu’elle avait été pendant sept ans, elle devenait une lutte révolutionnaire entre la régente Marie-Christine et un général ambitieux. La Catalogne était justement le théâtre de ce drame nouveau. La reine Christine s’était