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Grenade. La décadence intellectuelle de l’église commence au-delà des Pyrénées avec la décadence politique du pays lui-même. L’église a gardé toujours son influence dans le peuple : elle s’est défendue par son organisation puissante, qui touchait aux ressorts mêmes de l’organisme national; mais elle a perdu la supériorité morale et intellectuelle, l’ignorance a envahi le clergé, surtout dans ses rangs inférieurs. C’est le malheur du clergé en Espagne de s’être si peu trouvé, par les lumières, à la hauteur des circonstances nouvelles. On ne peut guère trouver, dans le commencement de ce siècle, que les polémiques curieuses et rares du P. Velez, du filosofo rancio, contre le progrès des idées révolutionnaires, et dans un temps plus récent quelques essais de polémique religieuse où commence à se révéler un esprit nouveau.

Quelque part que l’église espagnole ait eue d’ailleurs dans les lettres en certains momens, il ne faut point l’oublier, il est resté toujours en elle quelque chose de ce passé militant, qui est celui de l’Espagne tout entière. Ainsi que Balmès lui-même le disait, les idées et les sentimens religieux ont eu longtemps dans son pays un caractère belliqueux. Le catholicisme espagnol a dû à des circonstances spéciales une attitude toute guerrière. De là ce penchant, quelquefois remarqué en Espagne dans le clergé lui-même, à se fier au sort des armes, à mettre l’action au-dessus de tout. Pendant l’invasion de 1808, des moines étaient souvent à la tête des soulèvemens populaires. Dans la dernière guerre civile, on a vu des ecclésiastiques devenir tout à coup des soldats et aller au feu. Il est même une contrée de la Péninsule où l’insurrection avait revêtu un caractère particulièrement religieux et monacal. C’étaient des chanoines et des prêtres qui, en Catalogne, étaient l’âme de la résistance carliste. Ils étaient en majorité dans cette fameuse junte de Berga contre laquelle vint se briser le comte d’Espagne, dont la disparition est restée un mystère. L’église militante, s’armant de l’instinct religieux des masses, livrait ainsi un suprême combat.

C’est une coïncidence étrange qui a fait apparaître justement dans cette partie de la Péninsule, et au moment où les armes tombaient des mains de l’insurrection, un esprit qui ouvrait au jeune clergé une voie nouvelle en lui faisant sentir le prix des moyens moraux et intellectuels, comme il disait lui-même, Balmès a montré en effet ce que pouvait être de notre temps un prêtre en Espagne, s’inspirant de la foi religieuse, ouvrant sa pensée à quelques-unes des influences modernes les plus légitimes et cherchant le succès de ses idées dans la discussion. Là est le caractère, la nouveauté du talent de Balmès. Sa vie intellectuelle a été courte cependant, elle n’a duré que huit années, de 1840 à 1848; mais cet intervalle a été rempli par les fruits