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genre d’exploitation, la concurrence est fort laborieuse. Des terres d’une grande richesse achetées à très bas prix, des crédits illimités offerts à l’envi par les banques, la main-d’œuvre assurée au moyen de l’esclavage, des ressources pour nourrir et vêtir les noirs presque sans frais, une pratique agricole éprouvée par le succès, d’incomparables facilités pour les transports, de nombreux commerçans appliqués à entretenir l’émulation parmi les producteurs, tels sont les élémens qui ont assuré jusqu’à ce jour la supériorité américaine.

Qu’est-ce donc que notre Algérie pour entrer en rivalité contre de telles forces? C’est une terre naturellement opulente, mais fatiguée par plusieurs siècles de barbarie. Ce qu’elle conserve de richesse est enfoui; elle est médiocrement boisée. Les eaux, suffisamment abondantes, n’y sont pas encore disciplinées. Les difficultés résultant de l’état des lieux ne sont rien, comparées à celle qu’oppose la rareté des bras. La population ouvrière est à créer. Sur les sept à huit mille familles vouées spécialement à l’agriculture, il n’y en a certainement pas cinq cents en mesure de sacrifier un capital pour expérimenter un nouveau genre d’exploitation. Les autres vivent péniblement sur le petit coin de terre qu’elles doivent à la libéralité de l’état, sans autre fonds que leur énergie personnelle. Les canaux et les chemins de fer, presque indispensables pour le transport économique d’une marchandise encombrante qu’il faut livrer à très bas prix, n’existent encore que sur le papier : à peine a-t-on la ressource des cours d’eau naturels, qui sont rarement navigables. Enfin l’apprentissage de la culture cotonnière est à peine commencé. Si, au point de vue agronomique, on a constaté la possibilité de faire vivre le cotonnier sur le sol africain, on n’a pas suffisamment élaboré le côté économique, c’est-à-dire le rapport du prix de revient au prix de vente, et il n’y a probablement pas dix personnes en Afrique possédant sur la production et le commerce des cotons l’ensemble de connaissances nécessaires pour asseoir les bases d’une opération rationnelle.

Est-ce à dire qu’il faut renoncer à cultiver le cotonnier en Afrique? A Dieu ne plaise qu’on tire cette conclusion du parallèle que nous venons de faire! Aujourd’hui, comme il y a six ans, nous sommes persuadé que l’Algérie doit vivre et prospérer en fournissant le précieux lainage si nécessaire à l’industrie française. Nous ne craignons pas d’ajouter qu’elle serait bien menacée dans son existence coloniale, s’il était démontré que les cultures industrielles, et notamment, celle du cotonnier, n’y peuvent pas être pratiquées avec avantage; mais nous croyons en même temps que pour lutter contre les Américains, il faut des combinaisons puissantes et des efforts exceptionnels, et que dans l’état actuel des exploitations cotonnières au